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18/12/2010

Qui veut jouer à yadas (Latifa BEN MANSOUR) 2

 

Je regardai Radwane dans les yeux et sans répondra aux invités, je prononçai les paroles fatidiques, en tendant l'os de poulet à mon adversaire.

        Je crois que tu dois faire attention à ton budget Je me fais un plaisir de boire une gazouz avec toi dans cette ville du Sud si pleine de mystère.

Sans dire un mot, Radwane cassa l'os d'un geste sec

        Je me fais une joie d'être invité à tes frais à la Cité des Sources, dit-il d'un air ravi.

Sans répondre, je me levai et me dirigeai vers la cuisine. J'apportai le reste du repas.

        Yadas est un jeu très subtil : chacun l'interprète selon son éducation et sa maturité, disait Radwane mes hôtes qui l'écoutaient béatement.

        Les uns s'attacheront uniquement à la notion de défi, d'autres resteront accrochés à celle de la victoire ou de la défaite, dit un invité. Rares sont ceux qui tirent les leçons de jeu où le Nif* a un rôle capital.

Je mis le saladier sur la table et m'adressai à Rad­wane sur un ton de dérision :

        Je te sers un peu de tout, noble lion du Djurd­jura, ou veux-tu uniquement de la laitue ?

Les invités rirent avec Radwane qui me rétorqua :

        Sers-moi un peu de tout de tes délicates mains ; je veux savourer tes salades.

« Tu ne perds rien pour attendre, mon petit vieux, ris ! ris ! rira bien qui rira le dernier », pensai-je en lui servant promptement une assiette bien garnie. Radwane la prit de mes mains et au moment où j'allais dire « yadas », il prononça « fi bali : je n’ai pas oublié ». Je le regardai d'un air surpris et me mis à rire.

        Je crois que je dois faire très attention, dis-je. Il semble bien que tu sois une teigne.

Les invités guettaient les premiers heurts. Radwane prit un ton professoral :

— Yadas repose sur un principe très simple, confia-t-il aux invités en me jetant un coup d'oeil de temps à autre. Il faut donner un objet à l'adversaire, s'il le prend en prononçant cet énoncé : je n'ai pas oublié, tout est à recommencer. En revanche, s'il oublie de prononcer le sacro-saint « fi bali », le partenaire n'a qu'à dire « yadas » et la partie est terminée.

                Selon la force et la pugnacité des joueurs, reprit un invité, le jeu peut durer quelques secondes ou plusieurs mois.

 

 

*Nif : le nez, code de l'honneur algérien.

 

 

BEN MANSOUR Latifa.jpgLatifa BEN MANSOUR

 

La prière de la peur

 

 

Éditions La Différence

Paris ; 1997

 

Pages 167 à 173 (extraits)

 

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