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30/12/2010

Le Troupier Louis LATOUR (Pierre BION) 2

 

« …

Le rouge me monta au visage, et je me plantai en face de l’ennemi, droit comme un piquet, immobile comme une montagne, et servant de point de mire à une trentaine de tireurs. Bravo ! crièrent les carabiniers.  Cet applaudissement me fit bondir de joie, je me crus grand de six pieds, et, à partir de ce moment, personne ne me devança d’un seul pas.  À côté de moi, M.de Clonard, commandant mon bataillon, reçut une balle en pleine poitrine. Cet officier, l’un des plus distingués de l’armée d’Afrique, arracha tranquillement le projectile avec ses doigts, tamponna la plaie avec son mouchoir, et continua sa marche en avant. Au même instant, je reçus une balle qui me traversa le gras de la cuisse gauche; je n’en fus bien assuré que lorsque je vis mon soulier plein de sang.

 

                Bouche la plaie avec la cravate, me dit un vieux guerrier que nous nommons le Lion, et qui m’a pris sous sa protection. Je suivis son conseil. Or, mes chers parents, quand je relevai la tête, j’aperçus, à deux mètres, tout au plus, le canon d’un flingot (fusil arabe) braqué sur moi. Je mis vivement en joue mais le coup du Kabyle partit avant le mien, et sa balle vint fracasser le chien de mon propre fusil, et ricocha contre mon avant-bras droit. L’Arabe alors, fit un pas en avant, et me porta un coup de yatagan qui devait faire rouler ma tête dans les broussailles. Un nommé Tixier, de Notre-Dame de Mons, para le coup avec le canon de son fusil, et, avec la baïonnette, nous débarrassa de ce dangereux adversaire. Mon arme ne valait plus rien, et mon bras droit était raide et engourdi ; néanmoins, je m’emparai du fusil d’un mort et je conservai ma place au premier rang. Déjà, l’ennemi était en fuite, le 13ème avait atteint le sommet de la haute montagne qui domine la tribu des Beni-Habes, les femmes et les enfants allaient tomber en notre pouvoir, quand un marabout s’avança vers nous, monté sur une mule, et tenant un écrit à la main : C’était l’acte de soumission.  Le feu cessa, et chacun se mit à la recherche d’un peu d’eau, car nous mourions de soif. Je cherchais comme les autres, mais, plus imprudent que tous les autres, je dirigeai mes pas vers une petite oasis qui se trouvait entre la colonne française et l’année ennemie. J’étais à peine arrivé là, que j’aperçus un petit ruisseau où coulait une eau claire et abondante; aussitôt, j’appelai les camarades et m’élançai vers cette eau si désirée. Au moment où je m’agenouillais pour boire tout à mon aise, un coup de feu, tiré à bout portant, m’arriva en pleine poitrine. Je ripostai par un coup de baïonnette et tombai à la renverse. Il me sembla alors que j’étais suspendu au-dessus d’un abîme sans fond, et qu’une femme, parée de perles précieuses, me tendait la main, et me disait en souriant : «Tu m’as appelée, me voici, mon enfant.» Je crus voir la Vierge Marie, et je la priai de me bénir. Quand je revins à moi, je reconnus plusieurs de mes amis qui m’arrosaient le visage avec toute la sollicitude d’une mère. Je portai la main et les regards à ma poitrine; j’y touchai la médaille que me donna ma mère quand je la quittai, et je la vis mutilée par la balle qui devait me ravir à votre affection. Alors, mes chers parents, des larmes douces et abondantes, les larmes de la plus vive reconnaissance, s’échappèrent de mes yeux. Ah ! qu’elle est bonne, Marie !  Aidez-moi, je vous en prie, à la remercier, faites brûler un cierge en son honneur, et priez notre excellent curé de dire une messe d’actions de grâces.

 

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Quelques minutes plus tard, le colonel m’attachait, avec des épingles, les galons de caporal.

 

«Ne pleurez pas, chers parents, ou que vos larmes soient des larmes de joie et de reconnaissance: ce que Marie garde est bien gardé. Ma poitrine n’a aucun mal, ma jambe va bien, seul mon bras me fait encore souffrir, et voilà pourquoi je me vois obligé d’abréger beaucoup et de terminer ici ma lettre. Que de choses, cependant, j’aurais à vous dire. J’ai été si près de la mort ! Et personne ne serait venu s’agenouiller sur ma tombe, et prier le bon Dieu, pour le repos de ma pauvre âme.  « Adieu, mes chers parents, encore une fois remerciez la Sainte Vierge du nouveau bienfait qu’elle vient de m’accorder. Je vous embrasse comme je vous aime, c’est-à-dire de tout mon coeur. »

 

 

Pierre BION

Le Troupier Louis Latour

1861

 

CHAPITRE XX

LE COURAGE FRANÇAIS ET LE COURAGE CHRÉTIEN

 

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