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25/03/2012

Nuit de noces (Abdelaziz YESSAD) 3

 …

Loundja brûlait pourtant du désir de dire à sa mère que Smaïl était parti, qu’il avait oublié ses papiers, qu’elle avait volé à son secours…La bonne action, cet exploit si facile à raconter, était perdu mais peut-être que demain ! À quoi bon que cette aventure fût, si la fillette ne pouvait la raconter à sa mère ?

Sur le sentier étroit, alors qu’elle allait remplir son seau à la fontaine, un garçon s’était arrêté pour la regarder. Il avait même, croyait-il, esquissé un sourire. Elle était absorbée par le désordre de ses pensées galopantes qui la menaient de Smaïl à Ldjida, de la tristesse à la déception, à la révolte…Elle ne s’intéressa point à ce qui se disait à la fontaine, ne sentit point ces regards inquisiteurs des femmes qui commençaient déjà à s’intéresser à la jeune fille qui naissait d’elle. L’une des femmes, emportée par une discussion acharnée, lui céda son tour. Loundja remplit son seau et repartit aussitôt.

Le reste de la journée fut morne, lent à passer, très long et lourd à traîner. Pour une première fois, Loundja butait contre l’ennui.

Elle goûta à peine au dîner. La veillée s’annonçait animée mais la fillette s’en sentait déjà exclue. Les autres enfants, regroupés dans un coin de la grande salle, jouaient en paix. Leur silence était à peine hérissé de petits coups de coude sournois, du froissement des pages d’un livre que l’un deux tournait…Les grandes personnes profitaient de la bonne humeur de Lvachir pour le taquiner, lui sortir son histoire d’éternelle oisiveté, ses « vacances au pays de la religion » : il venait d’abandonner la pratique de la prière après deux mois de dévotion.

Zayna toucha discrètement le bras de Loundja pour lui demander à mi-voix d’aller voir si la petite Kahina, le bébé, ne s’était pas réveillée. Loundja fut ravie de cette distraction inattendue et de l’importance dont on l’habillait d’un coup.

Le bébé dormait, une main hors du berceau. Toute la grâce d’un enfant qui dort ! Loundja referma la porte derrière son dos, puis s’assit tout près du nourrisson ; elle regarda longuement l’ange endormi dont elle prit la menotte pendante pour la garder dans sa main. La douceur du tableau, qu’elle vivait autant qu’elle voyait, l’attendrir et elle eut envie de pleurer.

Elle ressortit de la chambre.

Encore l’ennui ! Tout lui paraissait superflu ; ces grandes personnes qui s’amusaient comme des enfants, dont les éclats de voix fusaient dans la nuit ; ces enfants sérieux comme des adultes. Tout l’irritait.

Du seuil, elle dit à Zayna que sa fille était éveillée mais qu’elle ne pleurait pas et se proposa de retourner la bercer pour qu’elle se rendormît. La femme lui donna son accord d’un geste de la main et d’un hochement de la tête.

Loundja retourna auprès de l’enfant, se remit à le caresser, l’embrasser avec précaution et douceur. La petite joue est douce sous ses lèvres. Avec mille précautions, elle prit dans ses bras le bébé toujours endormi et se mit à balancer de droite et de gauche pour la bercer. La tendresse du geste seule comptait, qu’importe que le bébé fût plongé dans le sommeil… Elle s’assit délicatement par terre, attentive à sa charge humaine ; elle croisa les jambes sous elle, comme elle le voyait faire aux femmes et forma un petit nid au creux duquel elle déposa son précieux fardeau. Kahina, dans son sommeil, se mit à bouger les lèvres, sa tête allait et venait, cherchant sans doute le sein maternel. Le cœur de Loundja se mit à battre la chamade, elle sentait ses joues s’enflammer… Elle reprit possession du bébé, le pressa contre sa poitrine, un flot de tendresse la noyait… Elle eut un regard furtif vers la porte, ses mains tremblaient avant même de commencer à se dégrafer pour atteindre les petits bourgeons de son buste et en offrir un à la bouche frémissante. Le bébé tenta de saisir de ses lèvres le bout des seins minuscules, dont la tête n’était pas encore formée. Ce contact entre les deux peaux réveilla les sens de la fillette mais déçut le nourrisson qui eut une moue, ouvrit des yeux lourds qui se refermèrent aussitôt. Loundja resta un moment sans bouger ;

Loundja pensait à sa mère ;

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Que faisait Smaïl à cette heure de la nuit, là-bas, dans son nouveau pays ?

 

 

Abdelaziz YESSAD

 

Nuit de noces

 

CHAPITRE XXII

 

Entreprise nationale du livre

 

Alger 1986

 

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