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29/05/2014

L’école de Bou El Bellout (Victor RENOU)

 

Avril 1960

Parmi la bande (de moutards), l'un d'eux a les cheveux roux et la frimousse criblée de « tâches de son ». Nous l'avons affublé du sobriquet compromettant de « légionnaire ». Depuis, ses camarades le considèrent comme un bâtard. Il traînera sans doute cet handicap toute sa vie. Pauvre mouflet !

Afin d'apporter des notions de langue française à tous ces marmots, une école est mise en place. Je suis désigné pour assurer les fonctions d'instituteur. Comme matériel à disposition, nous avons une tente rapiécée et un tableau noir. Les cours se limitent à la lecture de chansons françaises écrites au tableau ainsi qu'à la découverte des chiffres. La difficulté est grande pour les élèves, mais les progrès sont fulgurants. Recevant un jour un visiteur de marque, le capitaine le fait pénétrer pendant un « cours » dans la pseudo­classe. Comme il se doit, les enfants — assis par terre — se lèvent à son entrée. Une petite démonstration de nos exercices se révèle très concluante. Le visiteur se dit impressionné par ces résultats obtenus en si peu de temps. Mais, sous ces cieux, la mixité reste un problème : une affaire de mœurs se pose entre une grande élève et un harki. Les parents crient au scandale et le capitaine décide sans préavis de fermer la classe. Je n'entendrai plus ces mioches m'appeler  « Jacques » d'un air candide. Ils me garderont longtemps une forme de cabotinage qu'il est peut-être possible de nommer reconnaissance ...

Pour des raisons évidentes, chaque personne vivant au camp doit être munie d'une carte d'identité. Or, certains n'en ont jamais possédée. Il faut donc leur en établir. Ayant délaissé l'école, on me demande de venir en aide au fonctionnaire un peu borné responsable de ce travail. Compte tenu de la difficulté d'obtenir des demandeurs un minimum de précisions relatives au lieu de naissance, à l'âge et la parenté, établir un dossier serait impossible sans la présence d'un interprète d'origine locale. Celui-ci se décarcasse pour fournir, tous les renseignements nécessaires à l'obtention des cartes pour chacun. (On pourra, plus tard, se poser des questions sur la validité des renseignements obtenus lorsque le préposé sera arrêté pour collusion...) (Pages 55-56)

 

Mai 1961

Dans la nuit suivante, la S.A.S. est harcelée de coups de feu. Dans les trente secondes, le sergent de quart balance des obus éclairants. La fusillade cesse aussitôt. Il s'agit sans doute d'un règlement de compte dont nous n'aurons jamais le fin mot et cet incident met tout le village en ébullition. L'ambiance entre communautés se détériore. Je crois d'ailleurs que des choses se trament à nos dépends. Même des garnements prennent l'habitude de nous provoquer. Allusions obscènes et bras d'honneur leur valent de copieuses trempes qu'ils vont ensuite rapporter au chef de la S.A.S. Pour tenter d'occuper tous ces polissons désœuvrés, la réouverture d'une école a été décidée et Tadeu s'en voit confier la responsabilité. Possédant plusieurs licences, cet anticonformiste gouailleur représente le type même de la recrue insupportable : tignasse négligée, bouc hirsute et habits toujours crados dénotent son esprit (pseudo) antimilitariste. Les futurs écoliers seront édifiés par la culture française par ce zazou bourré de diplômes et de mauvaise foi...

En préalable, Tadeu a réclamé et obtenu d'utiliser un local en préfabriqué servant au stockage de ravitaillement. Il a ensuite fait scandale à la S.A.S. en exigeant de la semoule pour distribuer lui-même aux élèves assidus. Alléchés par les promesses, ils sont près d'une centaine à se presser dans la classe. C'est un succès... Afin de conditionner ses mioches, le malotru commence par les faire chanter des refrains gaulois à la moralité douteuse. Ceci lui vaut d'épiques démêlés avec des parents comprenant notre langue et outrés d'une telle pédagogie. La controverse prend des dimensions rocambolesques.

Elle s'arrête avec l'intervention du capitaine qui interdit ces chansons perverses...

L'affaire est pourtant sur le point de capoter lorsque Tuborde rencontre un soir « son » instituteur complètement paf et qui déblatère des outrances infâmantes contre l'armée et ses chefs. Le capitaine s'en tient à des menaces sans suite. En raison du succès de l'école, il lui est difficile de briser l'expérience Tadeu ; d'autant que le coco se crée une notoriété à l'intérieur du regroupement. En effet, améliorant ses connaissances de la langue arabe, « li professeur » s'incruste parmi les villageois. Pour y parvenir, il reconduit les jeunes élèves au gourbi familial et s'arrange pour se faire inviter à siroter le kavoua. Restant ensuite des heures en palabres, on peut imaginer que, par esprit de sédition, l'intrigant cautionne la cause adverse... (Malheur aux pauvres bernés !) ... (Pages 180-181)

 

Septembre 1961

Suivant mes pronostics, l'école vient d'être fermée. Tadeu se retrouve sans affectation. Ayant, soi-disant, changé d'opinion vis-à-vis des civils, il ne tarit pas de critiques à leur encontre. De moins en moins blairé dans nos rangs et fayotant sans vergogne pour obtenir les faveurs du capitaine, le forban ne cesse de le mettre en garde sur ce qui se passe au camp de regroupement. À l'entendre « tout est pourri » ( ... ) Ses dires font recette ! (Page 212)

 

RENOU_p60-1.jpgVictor RENOU

En Algérie, c'était comme ça …

ou les 24 mois d'un Appelé sur un piton.

 

Auto édition. Dinan (France)

Année de publication : 1988

 

Commentaires

J'ai moi aussi publié en 2012 un roman intitulé :Nek ou les pérégrinations d'un indigène et en voie de publication un roman de fiction en quatre tomes. Je voudrais contribué à ce chantier culturel que vous menez.
Merci de vouloir bien m'accueillir parmi vous.

Écrit par : Mohammed AOULI | 30/05/2014

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