Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/08/2016

Conversations à EL MAIN (Pierre VAUCONSANT) Extrait 1

ALGÉRIE

Quand nous entrons dans la classe unique de l'école, l'ambiance est studieuse. On nous fait asseoir parmi les écoliers. Dans le fond de la classe nous remarquons la présence de cinq jeunes hommes. Ils ne sont pas d'ici. Ce sont des citadins. Tout le dit : leur allure vestimentaire, et une certaine morgue qui n'est pas seulement celle de leurs vingt ans. Au tableau, le muezzin qui est, durant tout le jeûne, l'Uléma de cette médersa temporaire, a calligraphié en arabe un verset de la sourate du jour. Les enfants ânonnent cet arabe littéraire aussi étranger aux petits Arabes de la classe qu'à leurs copains kabyles.

Comme les petits Français récitant leurs tables de multiplication, ils travaillent à l'oreille. Ils retiennent la musique, pas toujours les paroles. Le Muezzin, qui n'ignore pas le gouffre qui sépare l'arabe littéraire de sa version populaire, sait que les gamins ne peuvent rien comprendre. Passé l'exercice de récitation, il traduit, il commente — en français — nous lui demandons s'il utilise le français parce que nous sommes là.

« Non. Je leur commente les sourates dans votre langue parce que c'est la seule qu'ils comprennent tous.

- Et le texte, là, écrit au tableau... Ça parle de quoi ?

- C'est extrait de Houd, la onzième sourate. Ce que j'ai écrit c'est le verset quatre-vingt-cinq. Il dit. « Ô mon peuple, emplissez la mesure et le poids avec justice et ne faites pas perdre aux gens leurs biens et ne répandez pas le désordre sur terre comme les fauteurs de désordre. Ce qui reste par devers Dieu est meilleur pour vous si vous êtes croyants. »

- Vos élèves sont intéressés par ces principes, par cette morale ?

- Autant que vos gamins à Paris par le cours d'éducation civique.

- Comment savez-vous ça ?

- J'ai été à l'école porte de Clignancourt. Mon père était ouvrier. Il travaillait au carrefour Pleyel. Moi j'ai fait l'École Normale pour devenir instituteur en France mais ils ne m'ont pas donné mon diplôme. Alors je suis venu en Algérie pour faire le maître d'école et puis depuis quelques années je fais le muezzin. Je conduis la prière. »

Pendant notre échange l'attention des élèves s'est relâchée. L'ambiance studieuse a cédé la place à un joyeux vacarme. …

 

BDM_N10_p54-El-Main.jpg

Pierre VAUCONSANT

Conversations à EL MAIN

Revue Bouts du Monde

N°10 Avril-Mai-Juin 2012

Pages 54-55