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Identité par le Groupe DJURDJURA


 

Identité Version Live (Groupe Djurdjura)

Texte récité en langue française

 

(Laissez-moi vous raconter

L'histoire qui est arrivée
À la petite Fatimarie
Qui est partie d'Algérie
Le voyage a commencé)
 
 
 
 
 

 

 

Dans le froid du mois de Janvier

Quand elle a pris le bateau.

Un bateau, c'est toujours beau

Les souvenirs s'en vont au fil de l'eau.

À Marseille, débarquement

Elle a changé de vêtements,

Changé de langue, changé de lit.

« Bonjour la vie »

« Papiers, s’il vous plait, passeport,

Nationalité, carte d'identité »

IDENTITÉ

 

 

Silence

Les jours se sont enfuis

Fleuris par les sourires

Les arbres et les fruits.

C'est comme ça quand on est petit.

Et puis le printemps est parti

Et les illusions aussi !

IDENTITÉ

 

 

Silence

Une lumière, des larmes

Un cri de liberté, des années d'amertume

La guerre d'Algérie

IDENTITÉ

 

 

Elle avait les dents si blanches

Un sourire si frais

Qu'on aurait dit

Un poème sur la Paix

Mais la paix, elle connaît pas

Car sa vie est un combat.

IDENTITÉ

 

 

Profession du Père : Ouvrier

Fatigué, il parlait à sa manière

Un peu tendre, un peu aigri

Puis un jour, il est parti.

IDENTITÉ

 

 

La Mère : profession ? néant.

Elle s'occupait des enfants

Les aimait à sa manière

Un peu raison, un peu passion

Puis un jour, il a fallu couper le cordon.

IDENTITÉ

 

 

Elle avait l'air d'une Princesse

Pourtant, elle pleurait sans cesse

Le soir, après ses ménages

Elle rêvait de grands voyages.

IDENTITÉ

 

 

Elle était gaie en arrivant

C'est vrai elle avait dix ans.

Aujourd'hui, elle grandit

Pour être libre et fière.

Elle parle toujours le berbère

Elle lance des S.O.S.

Racisme, Justice, Détresse

Amour et Paix sur tous les continents.

S.O.S. répond absent.

Il n'y a pas d'abonné

Au numéro que vous avez demandé.

Il n'y a pas d'abonné

Au numéro que vous avez demandé.

 

 

Djouhra ABOUDA

 

Fichier mp3

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Laïmèche Ali, L´Irréductible Révolutionnaire (Kamal AHMANE)

Un homme attaché à ses racines

La première chose à laquelle s’attaque le colonialisme, dans son entreprise d’implantation, est toujours le passé du pays dominé. La dévalorisation et l’anéantissement de la culture ancestrale, laquelle culture représente le cordon ombilical liant le peuple opprimé à son passé, le condamnent à une aliénation définitive. Laïmèche, nourri par la sève d’une histoire millénaire et cuirassé par un nationalisme sans faille, s’opposera telle une sentinelle vigilante à toute tentative de dépossession ou de falsification du passé. Fidèle à ses origines berbères, il fera de la préservation de l’identité du pays une priorité, car convaincu que la révolution, pour aboutir à une liberté « viable », doit s’articuler sur des référents authentiques. À travers ses compagnes de formation et de sensibilisation, il ne cessera jamais d’appeler les gens à s’accrocher à leur identité et leur culture ; considérant que ce sont là des éléments essentiels de

leur dignité.

 

Au sein du PPA, Laïmèche aura toujours un discours rassembleur à l’heure même où un clivage — accentué par l’attitude sectaire de la direction du parti — commençait à se dessiner entre une aile « légaliste » revendiquant davantage de collégialité et une autre, plus élitiste, incarnée par certains membres dirigeants à leur tête Messali Hadj. Dans cet antagonisme un peu larvé, le problème idéologique et identitaire, naguère en filigrane, ne tardera pas à prendre du relief. La clé de voûte de ce tiraillement conceptuel était la définition de la nation algérienne. Politiquement, la question était lourde par ses implications de première importance. Par conséquent, deux positions dichotomiques se mettront progressivement en évidence : celle de la direction représentée par Messali, qui dans son orientation politique s’appuyait sur des référents arabo-islamiques ; et puis, d’un autre côté, celle portée par un groupe de militants berbères, pionniers du Mouvement national, tels que Bennaï Ouali, Ferhat Ali, alias Ali Ou Mahmoud, Khelifati Mohand Amokrane, Aït-Amrane Idir, Ali Yahia Rachid et Laïmèche, qui mettaient en avant dans leur définition de la nation algérienne le concept de « l’Algérie algérienne ». En refusant le pouvoir discrétionnaire que s’est arrogé la direction du parti, les jeunes responsables du district de Kabylie vont inévitablement entrer en collision avec celle-ci.

 

À ce titre, la venue de Amar Khellil en tournée en Kabylie, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire du PPA, en mars 1946, couvera l’un des plus graves incidents qui affecteront les rapports entre ces deux structures. En effet, lors de cette visite de deux semaines, ce membre de la direction va pouvoir découvrir et apprécier la remarquable organisation du district et le non-fondé des préjugés entretenus jusque-là par ses collègues à l’égard des militants kabyles. En revanche, ces derniers vont monter au créneau pour stigmatiser leur direction et partant ouvrir une brèche sur la « question amazigh ». Un problème sensible qui est le résultat d’une option politique et idéologique, au sein du parti, qui a fait l’impasse sur la dimension et la réalité berbère...

 

 

AMARA-Mohand+AHMANE-Kamal_Ali-LAIMECHE.jpgMohand AMARA et Kamal AHMANE

 

Laïmèche Ali, L´Irréductible Révolutionnaire

 

Éditions L’Harmattan

2009

 

 

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11/10/2009 | Lien permanent

Aujourd’hui en Algérie (Mohamed KACIMI)

Visite à grand-père (Mohamed KACIMI)

 

Jeudi 18 novembre

 

Ma mère a voulu qu'on aille en Kabylie voir grand-père. Toute ma famille a pris le bus jusqu'à la gare routière. C'est un spectacle fascinant : des centaines de cars avec des chauffeurs qui crient toutes les destinations du pays et le nombre de places qui leur restent : «Bougie 5 places. Bou Saâda 3 places. Oran 4 places. Constantine 2 places. Ghardaïa 4 places. Tiaret 2 places.» Nous avons trouvé un taxi collectif pour Tichy, la perle de la Petite Kabylie, selon ma mère.

 

Nous avons pris la route de Tizi Ouzou. Nous sommes passés par les montagnes de la Grande Kabylie avant d'atteindre Bougie, puis Tichy. Grand-père Mokrane nous attendait à la station des taxis. Il portait un costume gris, une cravate rouge et un béret bleu. Il m'a soulevé comme un jouet. J'ai mon visage contre le sien. Je suis fasciné par sa grande moustache poivre et sel et ses yeux d'un vert pareil aux amandes que l'on cueille au printemps. Il vient d'avoir 72 ans. Je crie:

- Quelle force, grand-père!

Il me répond en français:

- Ça c'est de la force kabyle, je me nourris juste d'huile d'olive et de figues sèches.

Grand-père a travaillé très longtemps en France. Il a construit une grande maison en haut de Tichy. J'avais lu sur les murs de la ville plusieurs fois des inscriptions en berbère et en français qui disaient ceci «Autonomie pour la Kabylie», «Kabylie libre». J'ai posé la question à grand-père. Il a longuement lissé sa moustache avant de me répondre:

- C'est un peu compliqué pour ton âge.

 

 

Le soir, grand-mère nous a préparé des crêpes kabyles. Je me suis régalé. Alia et Riad n'étaient pas contents. Ils maugréaient dans leur coin:

- La Kabylie, c'est un truc de paysan. Il n'y a rien à y voir.

 

 

Les Kabyles

La Kabylie est une région montagneuse. La plupart des immigrés algériens en France sont originaires de cette région pauvre où l'élevage et la culture des oliviers sont la seule ressource.

 

Les femmes kabyles partagent leur vie entre le foyer et les champs.

La cueillette des olives, entre septembre et octobre, représente pour elles le principal événement de l'année.

 

Beaucoup de Kabyles militent pour que l'Etat algérien reconnaisse leur identité et leur culture. Ils demandent par exemple que la langue berbère soit enseignée dans toutes les écoles du pays.

 

KACIMI-Mohamed_Aujourdhui-en-Algerie.jpgAujourd’hui en Algérie

Yanis, Alger

 

Pages 22-23

 

GALLIMARD-JEUNESSE

Collection : LE JOURNAL D’UN ENFANT

(raconté par Mohamed KACIMI)

 

 

 

 

 

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Les Baisers du Fantôme (Karim AKOUCHE)

 

À ma mère qui n’a jamais mangé à sa faim et qui, malgré la sécheresse dévorant son sein, ne m’a jamais sevré de son lait aux mille vertus…

Au barde kabyle que les mille balles de l’intolérance n’ont pas pu faire taire…

Au "Maquisard de la chanson" qui "aide le vent de l'Histoire à souffler dans le sens de la liberté de son peuple"...

Aux marcheurs du jour, aux errants de la nuit, aux vagabonds infatigables, aux poètes frustrés, aux êtres sensibles, aux amoureux contrariés, aux malades délaissés, aux enfants abandonnés ; bref, aux combattants de la paix et de l’amour qui avancent sur les sentiers de lumière…

À toutes les femmes frappées de mutisme, aux hommes muselés, aux identités et cultures confisquées…

Et à tous ceux qui n’ont pas voix au chapitre, je dédie modestement ce livre…


Karim Akouche

 

Début du roman " Les Baisers du Fantôme ":

Je me souviendrai le restant de ma vie de ces mots que tu as murmurés au creux de mon oreille, la veille de notre mariage, dans un sourire plus beau que la lune, tes yeux magnifiques, comme deux agates, éclairés par l’abat-jour : « Yaniv, j’espère que je ne te survivrai pas, que je ne boirai pas après toi, que je n’aurai pas à dormir seule, quand à ma gauche il y aura le gouffre de ton absence, quand me manquera ton corps chaud et protecteur…car je me ferai toute petite dans l’immensité du lit, à peine un bout de femme abandonnée, ne valant même pas le moindre sou ; ou telle une peluche que l’enfant aurait usée jusqu’à la trame et qu’il aurait jetée au fond d’un tiroir après l’avoir remplacée par un autre jouet neuf et plus mignon qu’elle…» Et pourtant ces paroles n’avaient rien d’une plaisanterie, c’était un message prémonitoire que je n’ai pas pu saisir, ni su déceler en elles la brèche d’un quelconque avertissement. Naïvement, je les ai prises pour une plaisanterie de bon goût; d’ailleurs, j’ai rigolé à m’en fendre la bouche jusqu’aux tempes; elles sont entrées par l’oreille droite et sitôt ressorties par celle de gauche. Toute la nuit, nous nous sommes livrés aux jeux innocents de l’amour. Je me suis donné à toi comme jamais auparavant. Je t’ai fait l’amour comme un obsédé, sans me soucier des lendemains qui ne chanteront plus…

 

 

AKOUCHE-Karim_les-baisers-du-fantome.jpgKarim AKOUCHE

 

Les Baisers du Fantôme

 

Pax in Terris

 

2008

 

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Mohammed KHORSI, Moudjahid (Sabrina AZZI)

Mohammed n'eut jamais l'opportunité d'avoir un fusil ou savoir comment l'utiliser ; de surcroît, il ne passa pas son service militaire vu que son père n'était pas au pays ; donc il était le soutien de famille .Les moudjahiddines, pour mieux s'assurer de son courage et à quel point il tenait à rejoindre le maquis, exigèrent de lui faire descendre El Moukhtar qui se trouvait à Tizi Hibel ; ce dernier était l'écrivain public de la région.

Il passa toute la veille en ruminant comment procéder pour accomplir cette mission ?

 Il se leva très tôt, s'apprêta à mettre en train sa tâche, et d'un air angoissé, il dit à sa femme :

- Où tu as mis le châle que je t'ai offert récemment ? S'il te plait tu me le donnes.

Chabha sans lui demander son besoin pour ce châle se précipita et le lui donna. Il ne lui a rien dit de crainte de la tourmenter. Il la connaissait très bien, elle essaierait de l'empêcher d'y aller. Il préféra avoir la bouche cousue que de perdre du temps ; tôt ou tard, elle le saurait. Il prit le châle, le mit dans sa poche et déguerpit.

 À Tizi Hibel, il ne rencontra aucune difficulté pour trouver le bureau de travail d'El Moukhtar : c'était un homme que tout le monde connaissait ; il aidait les Français comme il aidait les Algériens. Il était bien connu par tous les villageois. Il frappa à la porte,

- Entrez ! cria El Moukhtar

- Bonjour, je suis bien au bureau de monsieur El Moukhtar ? dit Mohammed

- Oui, de quoi pourrai-je vous servir ? : rétorqua-t-il sans même lever la tête.

 Dans la salle où fut El Moukhtar, se trouvait sa petite fille qui, à l'entrée de Mohammed, prit la porte.

- Vous m'écrivez une lettre à mon chef de travail ? S'il vous plait !

- Votre carte d'identité monsieur ?

- La voici !

 El Moukhtar était un homme qui avait une très grande expérience en ce qui concernait les guerres. Il était dans les rangs français durant la deuxième guerre mondiale ; il pouvait sentir le danger de loin. Quoiqu'il fût du côté des Français, il ne s'était jamais montré hostile ni méprisant envers les Algériens. Il remarqua un certain embarras sur le visage de Mohammed ; il remarqua aussi un changement dans son comportement. Il saisit une feuille vierge, et dès qu'il s'était mis à écrire, il aperçut Mohammed en train de chercher quelque chose qui était coincé dans sa ceinture. Mohammed prit le pistolet que les moudjahiddines lui avaient donné pour cette mission, et tira sur lui. El Moukhtar était malin et vigilant : avant que la balle ne sortit du fusil, il bouscula vers lui le bureau pour l’entraver et la balle fut tirée dans le vide...

 Dès que Mohammed appuya sur la détente du fusil, il décampa laissant sur le bureau sa carte d'identité et se dirigea directement vers Takrart. À sa grande surprise, il aperçut de loin qu'il était encerclé ; une fourmilière de soldats entourait le village. Il changea vite de destination. Arrivé à Tizi Msbaa Iberdan, un carrefour où sept chemins s'entrecroisent, il trouva les Français et, sans perdre aucune seconde, prit la fuite. Les Français le poursuivirent et tirèrent sur lui sans l'atteindre. Animé de sa foi et de son courage, il ripostait en se dirigeant vers Thala Khellil où se trouvait le chef de front.

Exsangue de fatigue, il parlait avec peine « je veux rejoindre le maquis ! »

 Le chef de front étonné de sa décision (il était jeune pour supporter les affres de la guerre) lui dit :

- Est ce que tes parents savent ce que tu comptes faire ?

- Mon père est en France, et ma mère sait bien qu'il viendra le jour où je sortirai au maquis, mais pour l'instant elle n'en sait rien. Et après tout, je n'ai pas besoin de leur approbation pour que je fasse ce que je veux, pour que je défende mon pays, non... ! Je suis assez responsable, me parait-il !

 

El Moukhtar déposa plainte, et sa petite fille affirma que, s'ils l'attrapaient, elle le reconnaîtrait indubitablement. Mohammed bien qu'il avait le châle, vu l'anxiété qui s'était accaparée de lui, avait omis de recourir à son utilisation pour dissimuler son visage.

 Désormais, Mohammed était recherché par les Français. Sa mère s'affola quand elle fut mise au courant. … Sa femme Chabha, devenue pâle sous le choc, n'avait jamais pensé qu'il allait le faire ; elle ne prenait pas ses propos au sérieux. C'est vrai qu'il avait l'habitude de parler de la révolution et de son envie de devenir un maquisard ; mais pas si vite !

 

Mohammed concrétisa son rêve en 1955. Il endossa enfin l'uniforme des moudjahiddines …

 

 

AZZI_Ath-Douala_2008_couv.jpgSabrina AZZI

Ath-Douala, le rendez-vous manqué

 

Chapitre 3 (Extraits)

 

ISBN : 978-9947-0-2194-1

2008

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Mémoires en minuscules (L’ÉCOLE) Youssef Khider LOUELH

 

Le petit bonhomme que j'étais va commencer à grandir. 1940, à peine âgé de cinq ans, bien avant les autres enfants de mon âge, je vais avoir un emploi du temps chargé, chronométré. Mes parents étaient convaincus que pour avoir un minimum de chance, d'échapper à la misère du régime colonial, il n'y avait qu'une seule issue : celle de l'étude. Je vais ainsi suivre simultanément deux enseignements qui s’ignorent. En arabe, à peine toléré et seulement pour apprendre le coran par coeur et en français. Notre village était doté d'une école primaire exclusivement réservée aux garçons. Pour les filles, il fallait essayer de dénicher une place dans une école privée, dirigée par les Soeurs Blanches et située à plus de trois kilomètres de mon village.

 

Je vais accéder à l'école primaire sous un faux nom. Celui d'un frère né deux ans avant moi et décédé. Aucune déclaration officielle n'ayant été faite après son décès, il était considéré toujours vivant. Je n'avais donc qu'à prendre sa place sur les bancs de l'école ; ma grande taille me facilitait à cette doublure. Une supercherie de la part de mes parents pour me donner encore plus d’atouts. En fait une démarche qui va plus me compliquer la vie que m’aider. Tout d'abord, quand il a fallu retrouver ma véritable identité, les explications avancées ont placé mes parents dans une situation peu confortable. Et puis, m'avoir scolarisé avec les enfants âgés de deux ans de plus que moi, ne m'a en rien aidé. Je n'étais pas suffisamment éveillé pour suivre l'enseignement avec a même aisance que mes autres camarades de classe. Ainsi durant une bonne dizaine d'années, je vais être astreint à un régime strict. Lever à cinq heures du matin et enchaîner enseignements arabe et français jusqu'à 19 heures. Le soir, à la maison il fallait faire les devoirs des deux enseignements. Pour ce faire je m’installais dans « Thâaricht » avec comme tout éclairage une minuscule lampe à l'huile.

 

Lors des congés scolaires il fallait aider aux travaux des champs et m’occuper particulièrement de notre maigre bétail : un âne, une brebis, deux ou trois moutons. Des animaux auxquels je vouais un véritable amour et m'attachais plus qu'il n'en fallait. Notre école française était située en contrebas du village. Elle était composée de deux bâtiments, un pour le logement du directeur, le second pour l’enseignement. Deux classes à deux niveaux soit quatre classes au total. Les enseignants affectés là, sans eau courante, sans électricité, devaient relever plus d'une sanction que d'une promotion. C'est dire si la rotation était importante. C'est dire si nos maîtres demeuraient rarement plus d'une année scolaire sur place.

 

Lors d'une rentrée nous avons eu la surprise de découvrir que nos nouveaux maîtres étaient européens : M. et Mme Angel. Un couple hautain, raciste, méprisant. Pourtant, de tout temps, il a été le seul à avoir mis sur pieds une cantine scolaire. On se rendait donc à l'école avec une assiette et une cuillère en aluminium. Pour nous qui avions faim, d'autant que tout était rationné à cause de la guerre mondiale, une vraie aubaine d'avoir le repas de midi assuré. On aurait même aimé se rendre à l'école sept jours sur sept. Un seul plat était servi : légumes secs, pâtes, riz ou pommes de terre avec un morceau de pain. Jamais de viande. Une fois servi, chacun de nous s'installait dans la cour en plein air. Évidemment, ni tables ni chaises. Quand le couple Angel quittera notre école, déception unanime, la cantine va disparaître avec lui. Sans doute s'agissait-il d'une décision venue de haut, mais pour nous c’était lié au départ des Angel.

 

 

 

LOUELH-Youssef-Khider_memoires-en-minuscule.jpgYoussef Khider LOUELH

Mémoires en minuscules

EDILIVRE 2009

 

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L’oued de ma mémoire (Marc TESTUD)

Aujourd'hui le village* (de Novi) porte un nom à la couleur plus locale Sidi Ghiles.

M'hamed, un ami d'enfance, m'a rapporté deux versions de l'historique de cette appellation racontées par des anciens du village.

La première parle d'un homme inconnu établi au bord de l'oued. Dans le Coran, il est souvent question d'allégories, de métamorphoses d'êtres humains en animaux. D'après la légende, ce personnage mystérieux avait un pouvoir surnaturel qui lui permettait de prendre l'apparence d'un tigre. Il fut appelé Ghiles qui en est la traduction en kabyle. Le lieu fut appelé Sidi Ghiles, Monsieur le Tigre.

La seconde évoque trois pieux personnages intemporels arrivés de Kabylie, Sidi Abdellah Nedjari, Lala Mesguida et Sidi Ghiles. En raison de leur vie ascétique et charitable ils furent à leur mort élevés au rang de marabouts et enterrés sur les lieux.

J'ai toujours connu le mausolée à coupole blanche abritant le tombeau sur la route de la briqueterie au bord de l'oued.  

Novicien de Sidi Ghiles, je revendique cette appellation qui me semble le mieux évoquer la dualité de mes racines et mon identité.  

À sept kilomètres de Cherchell, Sidi Ghiles s'étale sur une langue côtière descendant en pente douce vers la mer, mamelonnée au sud de collines étagées, coiffées de calottes de pins et de lentisques.

Vu du réservoir qui domine le village, j'ai en mémoire une tache blanche et rouge posée au bord de l'eau azurée, les points d'exclamation du plumeau des palmiers tournés vers le ciel. J'ai encore dans les yeux le damier vert sombre, bleuté de sulfate, des parcelles de vigne, le triangle svelte du clocher-arcades à travers lequel un oeil exercé pouvait distinguer un coin de Méditerranée.

De Cherchell on arrivait au village par la nationale, longue ligne droite bordée de grands platanes qui devenait la rue principale soulignée par la géométrie vernissée des ficus aux troncs soigneusement blanchis.

En toile de fond, juste dans l’axe, s'aligne, éternelle sentinelle de granit, la masse rassurante du Kourb.  

L’agglomération était un quadrilatère tracé au cordeau comme un camp militaire. Les rues ne portaient pas de plaques. On leur avait attribué naturellement des noms à la notoriété toute locale puisque c'étaient ceux des riverains.

Couvertes de tuiles romaines et toutes de plain-pied les maisons se ressemblaient et étaient mitoyennes. La même rue changeait de nom plusieurs fois. La rue de Daniel Roseau devenait celle de Mouloud Aïssani ou de Tintin; celle de Beuchotte, la rue de Nahouche.

Le village était ceinturé sur trois côtés par une triple rangée d'eucalyptus géants, voûte sans fin aux colonnades blanches, parfumée et cendrée, bruissante de moineaux.

Au « centre-ville », l'obélisque de granit gris du monument aux morts regardait la mer. Autour, les ficus taillés en brosse cernaient la place et son kiosque à musique encadrés de l'église, des écoles et de la mairie.

Juste derrière, entre le presbytère et le cinéma paroissial, un large terrain vague bordé de trottoirs que les enfants avaient baptisé terrain de foot, quatre acacias à la position approximative servant de buts.

Les odeurs rythmaient le déroulement de la journée. Ça sentait le pain chaud, le crottin de cheval, le feu de bois, la semoule, le jasmin, l'anisette, la fleur d'oranger. L’après-midi apportait les relents de marc et de vinasse, les effluves iodés de varech et l'odeur mêlée d'eucalyptus et de sulfate de cuivre.

Au-dessus du village, le long d'un canal étroit qui traversait chacun d'eux, les jardins s'alignaient sagement dans leur huis clos de roseaux.

Seul l'un d'entre eux, à la haie éventrée, s'ouvrait largement par le devant. Un olivier, un grenadier et quelques orangers cernés par les ronces, les herbes folles, les chardons et les concombres sauvages indiquaient à l'évidence que la nature y avait repris ses droits. C'était l'espace de liberté et d'aventures des enfants qui l'appelaient le jardin abandonné.

Et puis, plus bas, au pied du long bâtiment blanc de la cave coopérative, entre le rocher de la Triche et l'embouchure de l'oued, une plage étroite semée de galets et de petits graviers, parfois bosselée de mattes d'algues aux rubans verts et bruns.

 

* Ce village proche de Cherchell n'est pas en Kabylie, mais son nom est d'origine berbère.

 

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L’oued de ma mémoire

 

Marc TESTUD

 

Pages 74-76

 

Éditions Siloë 2006

 

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L’école de Bou El Bellout (Victor RENOU)

 

Avril 1960

Parmi la bande (de moutards), l'un d'eux a les cheveux roux et la frimousse criblée de « tâches de son ». Nous l'avons affublé du sobriquet compromettant de « légionnaire ». Depuis, ses camarades le considèrent comme un bâtard. Il traînera sans doute cet handicap toute sa vie. Pauvre mouflet !

Afin d'apporter des notions de langue française à tous ces marmots, une école est mise en place. Je suis désigné pour assurer les fonctions d'instituteur. Comme matériel à disposition, nous avons une tente rapiécée et un tableau noir. Les cours se limitent à la lecture de chansons françaises écrites au tableau ainsi qu'à la découverte des chiffres. La difficulté est grande pour les élèves, mais les progrès sont fulgurants. Recevant un jour un visiteur de marque, le capitaine le fait pénétrer pendant un « cours » dans la pseudo­classe. Comme il se doit, les enfants — assis par terre — se lèvent à son entrée. Une petite démonstration de nos exercices se révèle très concluante. Le visiteur se dit impressionné par ces résultats obtenus en si peu de temps. Mais, sous ces cieux, la mixité reste un problème : une affaire de mœurs se pose entre une grande élève et un harki. Les parents crient au scandale et le capitaine décide sans préavis de fermer la classe. Je n'entendrai plus ces mioches m'appeler  « Jacques » d'un air candide. Ils me garderont longtemps une forme de cabotinage qu'il est peut-être possible de nommer reconnaissance ...

Pour des raisons évidentes, chaque personne vivant au camp doit être munie d'une carte d'identité. Or, certains n'en ont jamais possédée. Il faut donc leur en établir. Ayant délaissé l'école, on me demande de venir en aide au fonctionnaire un peu borné responsable de ce travail. Compte tenu de la difficulté d'obtenir des demandeurs un minimum de précisions relatives au lieu de naissance, à l'âge et la parenté, établir un dossier serait impossible sans la présence d'un interprète d'origine locale. Celui-ci se décarcasse pour fournir, tous les renseignements nécessaires à l'obtention des cartes pour chacun. (On pourra, plus tard, se poser des questions sur la validité des renseignements obtenus lorsque le préposé sera arrêté pour collusion...) (Pages 55-56)

 

Mai 1961

Dans la nuit suivante, la S.A.S. est harcelée de coups de feu. Dans les trente secondes, le sergent de quart balance des obus éclairants. La fusillade cesse aussitôt. Il s'agit sans doute d'un règlement de compte dont nous n'aurons jamais le fin mot et cet incident met tout le village en ébullition. L'ambiance entre communautés se détériore. Je crois d'ailleurs que des choses se trament à nos dépends. Même des garnements prennent l'habitude de nous provoquer. Allusions obscènes et bras d'honneur leur valent de copieuses trempes qu'ils vont ensuite rapporter au chef de la S.A.S. Pour tenter d'occuper tous ces polissons désœuvrés, la réouverture d'une école a été décidée et Tadeu s'en voit confier la responsabilité. Possédant plusieurs licences, cet anticonformiste gouailleur représente le type même de la recrue insupportable : tignasse négligée, bouc hirsute et habits toujours crados dénotent son esprit (pseudo) antimilitariste. Les futurs écoliers seront édifiés par la culture française par ce zazou bourré de diplômes et de mauvaise foi...

En préalable, Tadeu a réclamé et obtenu d'utiliser un local en préfabriqué servant au stockage de ravitaillement. Il a ensuite fait scandale à la S.A.S. en exigeant de la semoule pour distribuer lui-même aux élèves assidus. Alléchés par les promesses, ils sont près d'une centaine à se presser dans la classe. C'est un succès... Afin de conditionner ses mioches, le malotru commence par les faire chanter des refrains gaulois à la moralité douteuse. Ceci lui vaut d'épiques démêlés avec des parents comprenant notre langue et outrés d'une telle pédagogie. La controverse prend des dimensions rocambolesques.

Elle s'arrête avec l'intervention du capitaine qui interdit ces chansons perverses...

L'affaire est pourtant sur le point de capoter lorsque Tuborde rencontre un soir « son » instituteur complètement paf et qui déblatère des outrances infâmantes contre l'armée et ses chefs. Le capitaine s'en tient à des menaces sans suite. En raison du succès de l'école, il lui est difficile de briser l'expérience Tadeu ; d'autant que le coco se crée une notoriété à l'intérieur du regroupement. En effet, améliorant ses connaissances de la langue arabe, « li professeur » s'incruste parmi les villageois. Pour y parvenir, il reconduit les jeunes élèves au gourbi familial et s'arrange pour se faire inviter à siroter le kavoua. Restant ensuite des heures en palabres, on peut imaginer que, par esprit de sédition, l'intrigant cautionne la cause adverse... (Malheur aux pauvres bernés !) ... (Pages 180-181)

 

Septembre 1961

Suivant mes pronostics, l'école vient d'être fermée. Tadeu se retrouve sans affectation. Ayant, soi-disant, changé d'opinion vis-à-vis des civils, il ne tarit pas de critiques à leur encontre. De moins en moins blairé dans nos rangs et fayotant sans vergogne pour obtenir les faveurs du capitaine, le forban ne cesse de le mettre en garde sur ce qui se passe au camp de regroupement. À l'entendre « tout est pourri » ( ... ) Ses dires font recette ! (Page 212)

 

RENOU_p60-1.jpgVictor RENOU

En Algérie, c'était comme ça …

ou les 24 mois d'un Appelé sur un piton.

 

Auto édition. Dinan (France)

Année de publication : 1988

 

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Le puits des Anges (Slimane SAADOUN) 3

Derrière nous, la lumière s'éteint. Les vieux se sont mis au lit. Mohd de la main nous demande de baisser la voix.

- Tu connais Ibn Toumert … intervient Ali.

On ne sait s'il pose une question ou s'il fait une constatation. Il pose sa guitare à côté de lui contre le mur de la maison.

- Tu es professeur d'histoire, poursuit- il, en s'adressant à Yug. Comme moi...

Il a un ton calme, comme d'habitude. Parfois une intonation brise le tempo monocorde de la voix, mais il se ressaisit et il reprend le contrôle. À l'entendre parler, on est fasciné parfois plus par le ton de sa voix que par ce qu'il dit. Comme Mohd, il semble porter le deuil d'un malheur. Comme Mohd, et comme des milliers de jeunes hommes et d'adolescents de la région, il avait été emmené dans une brigade en ce mois de mai 1980. En vérité, cette épreuve était comme un rite initiatique pour leur génération : quiconque a vécu cette période, même de loin, semble diffuser une espèce de nimbe romantique, de rayonnement fascinant, un attrait mystérieux. Des milliers et des milliers de lycéens et d'étudiants avaient jeté leur insouciance juvénile par dessus l'épaule, emprunté un air soucieux et déterminé et franchi tous ensemble, d'un bond, le passage à l'âge adulte. Ils avaient défilé durant des jours et des jours, scandé des cris de colère et de révolte, hurlé leur désir de vivre librement leur identité. La nuit, pendant que les sentinelles faisaient le guet pour prévenir l'irruption des gendarmes et de leurs chiens, on discutait, autour de feux de bois allumés dans des fûts, on faisait l'apprentissage de la parole, de l'échange ; on se réappropriait les gestes et les attitudes de la djema. C'était fini ; il n'était plus question que de vieux maquisards incultes et mégalomanes continuent à gérer le pays comme une épicerie familiale. C'était fini, on ne pouvait plus reculer ; il y a eu trop de morts, trop d'humiliations ! On avait perdu la liberté depuis des décennies ; depuis des lustres s'effilochait inexorablement leur âme avec leur culture. Qu'avait-on à perdre désormais ? «Vous pouvez tirer, criaient-ils aux gendarmes ; nous sommes déjà morts!». Et les balles fusaient.

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À sa sortie, Ali avait refusé de raconter ce qu'il avait enduré. Sauf à Mohd et à moi. Par besoin de se confier, d'alléger le poids de sa détresse. Mais, contrairement à Mohd, il avait su reprendre le cours normal de la vie, du moins en apparence, peut-être grâce a ses études. Une fois celles-ci terminées, il avait commencé à enseigner l'histoire et la géographie dans un lycée de la région et il ne subsistait qu'une ride profonde à son front qui pouvait encore témoigner qu'il avait traversé une épreuve terrible. Les choses avaient commencé à mal tourner pour lui lorsque, petit à petit, son intérêt pour la forteresse en ruines s'était étendu par la force des choses, à d'autres sujets qui s'étaient avérés plus enrichissants. Ali s'était mis à vérifier la réalité des quarante Saints de Hizer, de ce légendaire Hizer qui avait dompté une ogresse et en avait fait son épouse et la mère de sa descendance. Puis, il avait entrepris de recueillir les poésies, les contes et les légendes du terroir. D'où sa faculté à parler un berbère châtié, que beaucoup d'entre nous, qui chevauchons sur deux langues à la fois, parfois trois, lui envions. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour comprendre qu'on lui reprochait de trop chercher à remuer le passé. L'histoire commence à la date fixée par les autorités. Au-delà, c'est de la subversion, pas de l'histoire. Les autorités n'aiment pas l'archéologie.

- Tu sais combien ces gens sont rusés et fourbes, continue-­t-il. Ibn Toumert était un homme pieux, honnête, totalement détaché des choses de ce monde. Mais il n'a pas hésité à faire tuer sept mille de ses meilleurs soldats par un stratagème abominable.

Le jeune homme ne prend pas souvent la parole, mais quand cela lui arrive, il ne manque jamais de nous étonner.

- L’Histoire nous le présente comme un saint homme, ce qu’il est sans doute, continue Ali. Mais n'a-t-il pas abusé de l'ignorance et de la crédulité des gens ?

- Mon pauvre ami, fait Yug, qui commence à bredouiller légèrement. Quel homme d'État, quel personnage historique n'a pas trompé son peuple ?

- Nous sommes à l'époque des droits de l'homme, réplique Ali. Les chefs sont jugés à leur aune. Il a réussi avec la complicité de l'un de ses hommes de main, El Wancharissi, à éliminer ses ennemis, du moins ceux qu'il considérait comme tels, en les jetant dans un précipice.

À un moment donné, légèrement grisé, je suis sur le point de m'esclaffer : la situation est surréaliste ! Ali, le timide Ali nous fait un cours d'histoire au milieu d'une nuit froide de janvier, illuminée par des millions de lucioles de neige.

- Grâce à des anges placés au fond d'un puits, Ibn Tou­mert obtient confirmation qu'El Wancharissi a obtenu de Dieu le don de distinguer les Réprouvés des Justes. L'homme de main fait ainsi le tri. Les mauvais sont jetés dans un précipice.

Yug hausse dédaigneusement les épaules.

- Et alors ? dit-il.

- Alors, dis-je, c'est que tous les moyens sont bons pour ces gens-là. Seule la fin compte. Ils sont même capables de faire apparaître le nom de Dieu dans le ciel d'Alger et de faire croire à la foule crédule qu'il s'agit d'un miracle.

 

 

Slimane SAADOUN

 

Le puits des Anges

 

 

Éditions L’Harmattan 2003

 

Collection Écritures berbères

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02/09/2012 | Lien permanent

Souvenirs de TAOURIRT-MIMOUN (Mohammed ARKOUN) 3

 

 

Parmi l'assistance, ceux d'en-bas étaient choqués par un mode de domination qu'ils croyaient révolu ; d'autres, ne comprenant pas exactement l'enjeu de l'admonestation, furent simplement amusés de la scène. Mouloud et moi avons souvent commenté devant des amis divers -en riant et en faisant rire comme il savait bien le faire avec son art de conter- les propos et l'indignation de Da Salem. C'est une des dernières, mais très significatives manifestations des mécanismes de contrôle de la parole porteuse de pouvoir en société kabyle. L'authenticité ethnologique du propos est soulignée par l'emploi répété de Dâdâk qui souligne des rapports de respect, c'est-à-dire, en fait, de pouvoir de l'aîné sur les cadets dans la famille et, plus généralement, des plus âgés sur les plus jeunes dans toutes les relations sociales, l'âge pouvant signifier la sagesse, la connaissance et le respect strict du code de l'honneur, un sens de la dignité personnelle et du dévouement à la communauté.

Je n'ai pas été apostrophé par mon prénom, mais par un rappel généalogique qui me renvoyait à ma place et à mon statut dans le « clan » (dont le souvenir est pourtant très estompé depuis longtemps) et le village. De même, la mention de lâarsh souligne le caractère exceptionnel et solennel d'une audience qui dépasse celle du village. À ce niveau, L’Amîn est le médiateur ou porte-parole incontournable. Seul le « marabout » habilité à solliciter la bénédiction divine au début et à l'issue de toute réunion importante, peut valablement s'exprimer pour ajouter une consécration religieuse aux propos « séculiers » de L’Amîn. Au sein de Thajmayth (assemblée de village) les représentants des familles peuvent prendre la parole dans le code précis des ordres de préséance et sous la présidence de L’Amîn.

Un dernier trait intéressant de l'apostrophe de Da Salem est la remarquable ouverture à la connaissance de langues autres que le kabyle. L'arabe et le français sont considérées comme des langues de promotion culturelle et sociale (avec une prime supplémentaire pour l'arabe, langue sacrée du Coran et moyen d'accès aux enseignements de l'islam). La maîtrise de ces langues rehausse le statut non seulement de l'individu, mais de la famille. C'est pourquoi Da Salem réaffirme la vocation des Mammeri à contrôler, à gérer ces facteurs nouveaux (pour le kabyle) de mobilité sociale et, éventuellement, de transformation du capital symbolique qui cesse d'être lié exclusivement à l'usage du kabyle. Ainsi l'histoire met en mouvement des structures archaïques et les structures réagissent à « l'innovation » (la fameuse bid'a traquée par les juristes théologiens musulmans à une échelle plus vaste et avec les enjeux plus complexes de vérité divine opposée à la vérité humaine) par la voix de ceux qui y puisent la légitimité de leur pouvoir.

Il y a ouverture aux langues, mais monopolisation du prestige qu'elles confèrent, parce qu'il s'agit de renforcer un ordre ancien et non de le remettre en question par l'apport culturel de ces langues. Quand on compare cette attitude et celle du Front islamique du salut qui, dans l'Algérie de 1989-1999, réclame la suppression de l'enseignement du français pour assurer le monopole de l'arabe, on constate une régression de l'attitude pratique devant l'étude des langues comme voie d'émancipation de la société.

 

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Mouloud Mammeri était, bien sûr, très conscient de toutes ces contradictions ; mais il poursuivait avec sérénité et confiance la tâche difficile de collecter et de publier les trésors de la littérature kabyle. Il avait le privilège de puiser à bonne source ; il demeurait très à l'aise dans le système de valeurs qu'incarnait et défendait son père ; je ne partageais pas cette aisance parce que, pratiquant les trois langues devenues enjeux de pouvoir et refuges d'identités conflictuelles après l'indépendance, je suis davantage sensible aux enrichissements que la personnalité algérienne peut recueillir d'une politique linguistique équilibrée et respectueuse des données historiques et scientifiques irrécusables. Mais ni l'Etat colonial, ni les Partis-États issus des luttes de libération n'ont pu se passer de la langue comme point d'appui et véhicule du pouvoir « légitime ». La colonisation a légué partout une situation idéologique qui ne pouvait générer que les attitudes rigides observées depuis une quarantaine d'années dans un grand nombre de sociétés de l'ex Tiers-Monde.

La leçon de Taourirt-Mimoun mérite ainsi d'être méditée, analysée, diffusée dans tout l'espace maghrébin : historiquement et anthropologiquement, les Maghrébins ont traversé et traversent encore -avec des lucidités et des obscurantismes variables- des tensions identiques à celles que Mouloud et moi -avec beaucoup d'autres- avons toujours érigées en exercices éducatifs, en efforts de recherche pour un humanisme maghrébin.

 

Mohammed ARKOUN

Humanisme & Islam

 

Éditions Vrin ; 2005

Éditions Barzakh ; 2008

 

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