31/03/2008
Cette époque-là (Kader MEDDOUR)
Si je te conte toute ma souffrance
Le récit en sera bien longSeule parmi les loups, sans défense
Je luttais, contre leur menace, de front.Dans ton berceau, je te parlais en permanence
De la vie et à quoi elle correspond ;Au maître des cieux, je réclamais clémence
Car mon mal était bien profond.
J’ai travaillé dur, «mon enfant»
Pour que tu puisses bien grandir.
Souvent, je calmais ta faim, par des chants
En t'endormant, cela me faisait souffrir.Je marchais toujours devant,
Me disant qu'il fallait bien tenirMême si le chemin était effrayant.
Le sage tirait profit de ce qu'il lui faisait subir.
Lorsque tu étais tout petit
Tes égaux te menaient vie dure.
Tu étais mon unique enfant chéri
Face aux forces du mal, sans armure,Proie à tous les conflits
De cette gent à mauvaise allure.Au partage, notre part n'était que dépit
Mais l'espoir naissant fut confié au temps futur.
Méprisé par les garçons de ton âge,
Tu limitais jusqu'à tes sorties.
Je t 'encourageais pourtant par tant d'adages
Pour ignorer leur étrange maladie.Mais tout te faisait barrage ;
C'étaient pour toi l'horreur et la tragédie.En grandissant tu commences à faire bon usage
De toutes ces dures épreuves réunies.
Même si le manque, de toutes parts, nous accable,
On n'a jamais baissé l'échine.
On se montrait bien capable
Et l'on savait où l'on chemine.Notre école fut toutes ces fables
Pour se prémunir des épinesEt pouvoir repousser toute trace du diable
Qui passe pour maître dans de fâcheuses combines.
Insouciant pour tes études
Tu ne recherchais que loisirs.
Je trouvais drôles tes attitudes :
Par des fléaux, tu te laissais envahir.J'avais toujours peur pour ton allure
Qui t'attirait vers de faux plaisirs.Mais un jour où tu ressentis notre brûlure
Tu allas travailler en promettant d'y réussir !…
Kader MEDDOUR
Entre théorie et pratique...
pages 39 et 41
Tayera S wallen
Éditions Le Savoir
2006 Tizi-Ouzou
06:49 | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook
24/03/2008
JUSTE DERRIÈRE L’HORIZON (Mouloud ACHOUR)
À l'époque, le père de Mansour, cet homme fier aux mains rudes qui se tuait au travail de la terre, affirmait volontiers que l'instruction était l'unique moyen de faire échec à la misère et, un jour prochain, de mettre un terme à l'exploitation coloniale. Au sujet de la scolarité de son fils, il n'admettait donc ni objection ni excuse. Son petit surdoué n'allait pas vivre attaché à la glèbe comme les serfs du temps de la féodalité européenne que les images d'Epinal illustrant le livre d'histoire représentaient ahanant derrière leurs araires médiévales, les traits déformés par une détresse indicible. Du coup, il le contraignait sans état d'âme à prendre chaque jour le chemin ardu qui menait à l'école du bourg voisin (une heure de marche par les sentiers muletiers et un cours d'eau colérique et imprévisible à franchir à gué), même si tous les éléments de la nature se liguaient pour l'en empêcher. Il affirmait que plutôt que de voir son aîné s'engager dans la vie avec l'unique espérance d'entrer un jour en possession de la parcelle de terre qui lui échoirait par héritage dans le domaine familial afin d'en faire son unique moyen de subsister jusqu’à sa mort (sauf à gagner comme tant d'autres les territoires d'émigration), il préférait encore que se referment sur lui les eaux jaunes de la rivière en crue.
Devenir instituteur, médecin, avocat ou cadi, peu importait. L'important c'était que Mansour ne fût pas cultivateur comme son père. Et il avait étudié, tenu en échec la fureur des flots de la rivière durant tant d'hivers ! Il avait étudié, et la férule inflexible du père avait durement sanctionné les rares défaillances qui avaient hissé à la première place du classement trimestriel Madjid, son unique rival en culotte courte, au demeurant son seul vrai ami en ce temps-là. C'est à l'école aussi, où il était interdit de quitter la cour pendant l'interclasse, que Mansour avait connu la faim et la soif, ayant trop vite épuisé le maigre viatique qu'il emportait le matin ...
Le père, lui, avait quitté la maison certaine nuit de l'automne 1954, emportant son calibre 12 à deux canons qui ne le quittait jamais pendant la saison des olives, quand une seule de ses cartouches tirée sur un vol de grives ou d'étourneaux en faisait tomber un si grand nombre qu'on en distribuait à tous les voisins ; il avait emporté aussi le minuscule pistolet automatique dont il démontait et graissait fréquemment les pièces d'acier bleuté sous le regard curieux de Mansour. Il s'en était allé après avoir souhaité la bonne nuit à ses enfants comme il le faisait chaque soir, et son corps n'avait été réinhumé dans le cimetière familial que plusieurs années après l'indépendance car personne n'avait pu jusque là donner d'information précise sur le lieu où il était tombé et avait été pieusement enseveli par ses compagnons d'armes. On savait simplement qu'il était tombé en combattant courageux et digne. Là-dessus, aucun doute n'était permis.
Tant d'années plus tard, dans tous les recoins de cette vallée perdue, Mansour croyait voir la haute silhouette de l'homme que, durant toute son enfance, il avait craint mais surtout admiré et aimé sans jamais oser le lui avouer ; qu'il avait longtemps pleuré, avant même d'apprendre qu'il ne le reverrait plus dont le soutien autoritaire lui avait terriblement manqué, même à l'âge adulte.
Quant aux stupides imprécations du boiteux ...
*
L'automne venait de commencer lorsque Mansour avait pris possession de sa maison, libérant la soupente où l'avait hébergé Mahfoud le menuiser en échange de quelques travaux d'écriture, mais surtout, au nom d'un vague lien de parenté. Sa maison !
En l'espace de quelques semaines, il avait fait reconstruire à l'identique (ou presque) par un maçon de la région efficacement servi par un groupe de jeunes lancés à plein régime grâce à un salaire peu commun, les deux principales pièces de la demeure ancestrale, depuis l'aménagement intérieur traditionnel, jusqu’à la cheminée rustique, la toiture à deux pans en tuiles rondes (récupérées une à une dans la montagne de gravats qu'était devenue la grande maison familiale après sa destruction à la dynamite dès les premiers mois de la guerre), reposant sur une charpente légère doublée d'une litière de gros roseaux tressés. Seul élément de modernité des sanitaires et une cuisine, puisqu'à présent la localité disposait d'eau courante, de gaz et d'électricité. Une mince murette en briques l'isolait du voisinage, cernant également tamazirt, le jardin des aïeux, dans lequel n'avaient résisté au temps parmi les dizaines d'arbres fruitiers plantés ou greffés par son père que deux ou trois figuiers noueux, un cerisier atteint de stérilité et un bigaradier naguère prodigue de fruits exquis.
Enfin, pérorait-on au hasard des apartés, pour l'instant, il est au-dessus de tout reproche. Propre dans sa mise et digne dans sa conduite, il n'est pas homme à transgresser des règles que sa longue absence n'a pas pu lui faire oublier. Personne ne l'a surpris chantant à tue-tête dans la rue, dévisageant une femme ou manquant de respect à qui que ce soit comme l'aurait fait un esprit dérangé. Tout juste peut-on dire qu'il fait un peu figure d'original et sa seule extravagance est peut-être cette manie de quitter son lit au premier chant du coq pour s'en aller arpenter jusqu'au lever du soleil chemins et sentiers des deux collines en affichant un détachement superbe, le regard braqué vers des ailleurs mystérieux, sourd aux salutations, croisant femmes et hommes sans paraître les voir, les lèvres remuant comme prises dans un monologue inaudible. Parfois son visage s'illumine d'un vaste sourire qui ne peut s'adresser à nul autre qu'à lui-même ou à des compagnons invisibles. Ses djinns, sans doute...
Mouloud ACHOUR
JUSTE DERRIÈRE L’HORIZON
pages 10 à 13
CASBAH Éditions
Alger 2005
21:35 | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook
19/03/2008
Les émigrés (Rachid ALICHE) extrait de FAFFA
[...] Ils se rendent en terre étrangère, ils sacrifient leur jeunesse, retroussent leurs manches et travaillent très dur, afin de se sortir de la misère, eux et leur famille ; pour envoyer un peu d’argent au pays. L’un va commencer par rembourser les dettes qu’il a contractées ou que ses parents lui ont laissées ; un autre va s’efforcer de racheter les terres que son père ou son frère aîné a vendues, un autre va mettre de l’argent de côté pour pouvoir ouvrir un magasin au village et pouvoir retourner vivre au pays, auprès de ses enfants, ou acheter une voiture pour faire le taxi. Chacun d’eux a ses raisons et ses espoirs, les raisons de venir en France sont nombreuses : l’exil est écrit sur leur front depuis qu’ils sont au berceau !
Ils ont laissé le pays, ils ont laissé leurs maisons et leurs familles, leurs parents ; ils sont montés dans le bateau et s’en sont allés. Les vieilles et les mères n’ont plus qu’à se tourner vers les gardiens (génies) du pays pour qu’ils les protègent, qu’il ne leur arrive rien de mal, qu’ils gagnent de l’argent et apportent un peu de bien-être à leur famille.
Ceux qui partent pour la première fois sont en général des jeunes, entre dix-sept et vingt-cinq ans ; ils se marient et, le henné de la fête n’est pas encore effacé sur leurs mains qu’ils sont déjà partis !
Tous laissent des acheteurs qui vont s’occuper d’approvisionner leur famille ; si les parents sont encore en vie, ce sont évidemment eux qui vont assumer cette tâche, sinon on demande aux oncles paternels, aux beaux-parents ou à des amis.
Quant à l’épouse, elle se retrouve seule avec ses beaux-parents ou carrément toute seule : elle devra faire face à la situation comme elle vient ; toute la charge de la maison reposera sur ses épaules et elle devra assumer les tâches de l’homme et celles de la femme : aller chercher l’eau, faire la cuisine, tenir la pioche, grimper aux frênes (pour couper des feuilles destinées à nourrir les bêtes), débroussailler et tailler, cueillir les olives, bref, tenir la maison toute seule !
Extrait p. 23-24 du roman FAFFA
Mussidan, Federop, France 1986
Texte kabyle original dans l'allbum STOCK
09:29 | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook
11/03/2008
Algérie ! Algérie ! (Éric MICHEL)
"La Kabylie est une région sauvage au relief extrêmement varié soulignant une vaste étendue du littoral algérien. Ici, ce sont des plateaux arides et secs où pousse une végétation basse, quasi steppique, puis des plis de vallons ponctués de touffes de palmiers nains, d'oliviers, de figuiers ou de forêts de cèdres et de chênes-lièges. Là, ce sont de vertigineuses parois tombant à pic dans les talwegs, alimentés par d'aléatoires cascatelles.
Partout, les accès sont difficiles.
Les sautes d'humeur du terrain rendent ardu l'établissement de voies de communication. Ils ne sont pas rares, les villages qui vivent isolés du reste du monde : c'est la norme. Austères, rudimentaires, jetés pêle-mêle au hasard des caprices de la nature et fondus en elle, ils s'accrochent bec et ongles à des pitons rocheux. Massés sur des crêtes à la dentelle platinée, cloués vaille que vaille à des encoches anguleuses et rouillées, ces fortins épousent néanmoins harmonieusement les coteaux, défiant les lois de l'équilibre.
Sur cette terre tourmentée se prêtant naturellement à la rébellion, les Kabyles, montagnards sédentaires, se sont montrés au fil du temps réfractaires à l'ordre établi ainsi qu'à toute domination. Ici, on ne se met pas du côté du manche, et c'est dans les replis d'un pays accueillant aux «bandits d'honneur» que, sept années avant le début du conflit, le premier maquis fut constitué avec une poignée d'hommes sans argent, sans nourriture et sans peuple. On y tenait tête, déjà, à l'administration coloniale avec une seule devise : la dignité n'a pas de prix. Pour arme, une volonté en forme de rêve. Indépendants, orageux, ces hommes forment une société simple, reposant sur d'ancestrales coutumes. Elle ne s'est pourtant jamais constituée en classe. Chez eux, pas de militaires mais des résistants, pas de noblesse mais des hommes fiers, pas de religieux mais une conscience politique aiguisée. En un mot, pas de caste.
Portés par le destin, quelques centaines d'hommes joignirent leurs forces. Us se préparaient au grand combat dans l'Est algérien, en Kabylie, dans les Aurès et l'Algérois, alors que l'attention de l'administration française était détournée par le séisme qui avait durement frappé Orléansville pendant l'été.
Le 1er novembre 1954, une insurrection populaire éclata simultanément en plusieurs points de l'Algérie. Au pire, on n'avait rien vu venir côté caïds et notables locaux. Au mieux, «on sentait quelque chose» en métropole et, au total, on croyait planer sur le problème comme à Sétif neuf ans plus tôt. Mais la mèche, allumée par les répressions sanglantes au lendemain de la victoire alliée pour mater cette première manifestation de masse, était au bout de sa course. On pensait que la botte française pèserait suffisamment lourd sur les musulmans : la paix serait assurée pour un bon moment.
Elle touchait à sa fin. L'heure sonna. La population, exaspérée par les injustices de l'administration coloniale, avait maintenant des têtes. À défaut de faire entendre une voix, ils feraient parler la poudre."
Éric MICHEL
Algérie ! Algérie !
Presses de la Renaissance,
Paris, France, 2007
21:01 | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook
04/03/2008
Cas de la Kabylie (ZORELI Mohamed Amokrane)
L'histoire d'un cas de réussite :
Durant les premières années post-indépendance, le chef de la famille acheta une petite boutique où il a réalisé un commerce d'articles de confection.
Le jeune fils commença d'abord par assister le père dans son commerce; mais l'affaire n'étant pas suffisamment rentable, il décida de partir en France où il travailla en tant qu'élément d'une chaîne de production.
Vers la moitié des années 1970, il rentra de France, avec un véhicule commercial, en vue d'exercer dans le pays le commerce ambulant de produits de confection.
Au début des années 1980, il réalisa un investissement dans une entreprise de fabrication d'articles accessoires pour la confection où il s'approvisionnait pour les commerces de la famille; et, quelque temps après, il lança des travaux de construction au village natal.
Vers la fin des années 1980, ces travaux étant achevés, cet entrepreneur se désengagea de l'association industrielle où il trouvait des freins à ses élans afin de pouvoir réaliser au village une unité de production spécialisée* dans le même domaine d'activité.
À partir de cette date et jusqu'aujourd'hui, l'entreprise a réalisé une extension, à double reprise, qui s'est concrétisée par un taux de croissance du nombre d'employés de près de 300%.
Venant juste d'achever un projet de construction dans le chef-lieu de la commune, le propriétaire-dirigeant serait en phase de préparation d'une nouvelle unité de production à ce niveau.
* L'entreprise en question est 1oca1isée au niveau d'un village de la commune de Tizi-Gheniff, Wilaya de Tizi-Ouzou.
L’historiquement construit au niveau local et dynamique de développement :
Cas de la Kabylie
ZORELI Mohamed Amokrane
Éditions Le Savoir
2006
Tizi-Ouzou
09:30 | Lien permanent | Commentaires (11) | Facebook