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26/11/2008

La beauté de la perdrix (LEO FROBENIUS)

 

 

Un jour, dans la forêt, il prit envie à la perdrix de se rouler sur la mousse jusqu'à ce que son plumage devienne magnifique et prenne des couleurs chatoyantes. Elle picota et frotta son bec sur le rocher jusqu'à ce que ce bec devienne aussi rouge que des gencives de jeune mariée frottées au brou de noix. Elle leva les yeux pour contempler le ciel et ses paupières prirent une couleur bleu-azur comme si elles étaient passées au khôl. Puis elle descendit du rocher sur lequel elle était juchée. Elle rencontra un âne qui la complimenta :

- « Tu es si belle que je serais tout fier de te voir sur mon dos et de faire une longue promenade avec toi!»

La perdrix se posa sur le dos de l'âne qui partit en trottinant de plaisir à travers les champs.

 

Le chacal rencontra la perdrix juchée sur l'âne et fut séduit par sa beauté

- « Comment as-tu fait pour embellir à ce point ? » demanda le chacal.

- « Vois-tu, c'est très simple : je me suis roulée dans la mousse de la forêt; j'ai picoré du bec contre un rocher et enfin, j'ai levé les yeux au ciel ! » expliqua la perdrix.

- « Je vais en faire autant! » dit le chacal.

 

Le chacal se rendit dans la forêt et commença à se rouler par terre. Mais, voulant bien faire, il tomba dans un buisson d'épineux et perdit presque tous les poils de sa belle fourrure. Il frotta à plusieurs reprises son museau contre un gros rocher, et il perdit presque toutes ses dents. Il grimpa en haut d'un rocher; ouvrit tout grands les yeux pour regarder la boule incandescente du soleil de midi il devint aveugle. Il descendit du rocher, et comme il ne voyait plus rien, il perdit l'équilibre et tomba dans un ravin très profond il s'écrasa sur un tas de pierres. Il tomba avec une telle violence que son ventre éclata et que ses tripes se répandirent sur les rochers!

 

 

FROBENIUS_contes-kabyles_t3_couv.jpg

CONTES KABYLES

recueillis par LEO FROBENIUS

 

traduction par Mokran FETTA

 ÉDISUD 2003

 

1ère édition : Eugen Diederich, IENA, 1921

18/11/2008

Le pays des hommes libres (Ali ZAMOUM)

Tamurt imazighen : mémoires d'un combattant algérien, 1940-1962

 

 

Extrait

De simple militant, j'ai bien vite été élu chef de cellule, puis chef de groupe, puis chef de la kasma de notre région. Je ne faisais pratiquement que militer dans le Parti. Au grand désespoir de ma grand-mère qui ne comprenait pas que je ne sois pas comme les autres militants du village. Un jour elle s'en plaignit auprès d'un ami, Yantren Chabane :

 
- Pourquoi vous ne l'aidez pas un peu ? Ali est tout le temps pris par le Parti, alors que vous vous occupez bien des travaux de vos champs !


- Mais Yemma Hadjila, il travaille pour son pays ! lui répondit Yantren.

 
- Je ne comprends pas comment on peut travailler pour son pays et abandonner ses propres terres ! lui dit-elle alors.

 
En kabyle, la terre et le pays portent le même nom : Tamurt. Logiquement, je devais commencer par m'occuper de nos propres parcelles plutôt que du pays tout entier !

 

 

 

ZAMOUN-Ali.jpgAli ZAMOUM

 

Le pays des hommes libres

Editions La Pensée sauvage (Histoire) 1999



 

10/11/2008

La rage et l'aurore (Jacques VINCENOT)

 

Raïssa

 

Je suis une minorité visible à moi toute seule.

Ma grand-mère me surnommait Karhmouss. En kabyle, c'est une figue de barbarie avec des épines. Ma grand-mère voulait dire quelque chose comme Qui s'y frottera s'y piquera. J'aime bien ce mot parce qu'il évoque la terre ocre rouge du village de ma mère. Donc je suis née en banlieue parisienne, dans un décor de lèpre.

Pourtant, dans le quartier, on est pas lépreux, on y trouve beaucoup de gens adorables, je pense à Nouria, à l'imam Tayeb, à Ismaël, à mes copines du lycée.

On dirait que ma cité a été avortée : un bloc de béton gris, avec une quatre-voies qui la coupait en deux, des tags partout et des paraboles aux fenêtres. En fait, mon quartier est une malfaçon, une erreur de casting. J'ai commencé ma vie dans une sorte de Dark city. Certains soirs, c'était carrément Fight club mais avec Brad Pitt en moins, on peut pas tout avoir.

Parfois, je me demandais si il y aurait un lendemain, parce que, pour ça, il aurait fallu un recommencement, un espoir minime, et ce genre de produit était pas la spécialité du coin.

Pourtant je suis de là. J'ai pris racines dans un nulle part. C'est chelou d'avoir des racines dans un nulle part en béton, c'est carrément anti-écologique, et pourtant j'éprouve de la tendresse pour mon quartier, ou au moins la volonté de pas oublier ceux que j'y ai laissés.

La deuxième chose que je peux dire, c’est l’héritage schizophrénique. Quand on naît dans ce quartier, on reçoit dans les gènes une sorte de dédoublement parce qu’on se retrouve partagé entre cette dead zone qui est notre chez nous et l’envie d’en partir.

Du coup, une autre part de cet héritage, c’est la rage. On naît pas avec elle, mais, si on l’attrape, comme un virus, on se retrouve habité par une volonté insatiable. J’adore ce mot Insatiable, il fait classious. La rage, c’est une disposition intérieure que personne pourra nous retirer. »

 

 

VINCENOT-Jacques_la-rage-et-l-aurore.jpgLa rage et l'aurore

 

Jacques VINCENOT

 

éditeur: Cerisaie, Paris, France

 

Collection: Singulière

 

Parution: 10/2008

03/11/2008

Les Premiers Berbères (Malika HACHID) extrait

 

 

QUAND,

IL Y A DES MILLÉNAIRES,

L’HISTOIRE TÉMOIGNAIT

DU STATUT PRIVILÉGIÉ

DE LA FEMME...

DONT  L’ALGÉRIENNE

N'A PAS HÉRITÉ

 

 

 

Les ancêtres des Berbères tenaient la femme en très haute estime. Chez les Protoberbères la femme est omniprésente, son image est très soignée, son visage dégagé. La mixité est de rigueur. Les égards qu'on lui témoigne, les droits et devoirs qu'elle avait sont perceptibles: c'est elle qui, à l'avant, dirige le campement en déplacement, c'est encore elle qui l'installe. C'est elle qui reçoit les hôtes d’importance. Elle n'est pas confinée aux tâches d'intendance : elle est responsable du troupeau, auquel elle est souvent associée, et de la traite, une responsabilité économique vitale ; elle participe à la chasse. Elle n'est pas absente des débats qui animent la société de l'époque.

 

Chez les Libyens, les femmes accédaient au pouvoir. L’art pharaonique en témoigne

 

Les peintures paléoberbères témoignent du statut de la femme comme à livre ouvert: la mixité est encore et toujours de rigueur ; sa position socio-politique ne diffère pas de celle de l'homme puisqu'on la voit portant la même tunique que son compagnon, le double baudrier croisé, les plumes de noblesse dans les cheveux, et le bâton de commandement à la main ; elle est figurée armée d'un bouclier et d'un javelot ou guidant un char. Les témoignages historiques viennent confirmer les images rupestres. … Ces images sont d'une saisissante réalité et prouvent que la femme paléoberbère a joué un rôle guerrier et militaire au côté de l'homme ; elle préfigure la femme Ajjer Ifoghas, la plus habile de tout le Sahara à manier le dromadaire.

 

La femme touarègue héritera d'une grande partie de ces droits, elle à qui les droits coutumiers réservaient bien des privilèges, dont celui du pouvoir. Des droits que sa cousine kabyle, par exemple, n’a jamais eus, jusqu'à être dépossédée de son droit à l'héritage reconnu par l'islam, un islam dont la plupart des hommes ont utilisé le côté traditionnel historique pour maintenir la femme dans la condition qu'ils ont choisie pour elle.

L’histoire est là pour témoigner de la qualité du rôle social, économique, politique et culturel de la femme algérienne et ceci depuis la préhistoire : de quel droit l'en a-t-on aujourd'hui spoliée, lui faisant l’aumône d'un statut juridique indigne alors qu'elle n’a jamais failli à ses devoirs, bien au contraire, allant jusqu’à assumer ceux des hommes ? Douterait-on encore de la capacité guerrière de l'ancêtre de la femme berbère et de l'algérienne en général ? Sait-on que dans son armée, le courageux chef de guerre Bouâmama comptait seize femmes se battant contre l'armée coloniale française au même titre que les hommes, alors que leurs enfants attendaient d'apprendre leur mort ? Les Algériennes au maquis contre le même occupant, celles qui se sont faites égorger pour le droit à l'instruction n’en sont que les dignes héritières, qu'elles soient célèbres ou anonymes. L'histoire nous interpelle, hommes, femmes et pouvoirs, pour que les unes arrachent les droits qu'elles ont su construire depuis des millénaires, pour que les autres les autres les respectent avec la dignité qui s'impose.

 

 

HACHID-Malika_Les-Premiers-Berberes.jpgMalika HACHID

Les Premiers Berbères

 

Éditions INA-Yas Édisud

2000

 

pages 154-155