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17/01/2009

BOTTE A BOTTE (Ibrahim) Suite 1

 

De temps en temps, les auditeurs risquaient un mot, un souvenir à eux, l'enterrement du père Coqueteau, où tout le monde était en ribote; la fille du maire qui s'était mariée le 2 janvier, ce qui avait fait deux jours de fête pour tout te village; mais Testart ne laissait pas longtemps la parole à ces campagnards et renchérissait aussitôt sur leurs propos : Il avait raison, ce Testart, le jour de l'an n'était possible qu'à Paris... avec Lucie!

 

Impatienté, je crie de ma tente « Yah ! Assessa ! Skout-aleck, deroueck ! » (Vas-tu te taire),et les autres de répéter: « I goul Skout-alek ! » (Il te dit de te taire). Je n'entends plus qu'un vague murmure de prières débité en sourdine; mais les autres aussi parlent encore, à voix basse maintenant, comme des conspirateurs. Que méditent-ils pour leur jour de l'an ? Testart veut-il les entrainer dans quelque escapade, leur faire quitter le camp ? Il est capable de tout, ce damné Parisien qui m’a attristé davantage avec ses histoires. Je prête l'oreille ; je ne me suis pas trompé; mon ordonnance est du complot. Il dit : « Mais non, ça y fera pas de peine, au capitaine, au contraire. » Comment, au contraire? Vous le verrez bien, si je prends vos frasques en plaisanterie. Et le Parisien reprend . « Alors, c'est dit, ça y est? Dans cinq minutes ! » Les cinq minutes se passent.

 

« C'est-i-l'heure ? » demande Testart. « Oui, allons-y », répond mon ordonnance, qui a toujours le privilège de l'heure exacte dans ma petite troupe. Tous se lèvent, y compris les Assès, qui suivent le mouvement, et la bande se dirige, non pas furtivement vers Fort-National, à travers la montagne, mais vers ma tente, où la lampe est toujours allumée et où ma silhouette, se promenant sur la toile, a appris à mes hommes que je ne dormais pas. Près de la porte, Testart, de son plus pur accent faubourien, m'interpelle : « Pardon, mon capitaine, excusez-nous s'il vous plaît, nous voudrions vous parler. » Je sais ce que c'est, une permission, une carotte, pour ne pas travailler le lendemain ; je déboucle la porte ; ils entrent, Testart en tête, mon ordonnance, les deux tringlots, et dans le fond les quatre burnous des Assès, qui jouent les mameluks dans ce cortège. Testart prend la parole, son képi à la main : « Pardon, mon capitaine, mais comme nous avons vu que vous n'étiez pas couché, et que ça se trouve le jour de

l'an, et qu'il est juste minuit, nous venons vous souhaiter la bonne année. Bonne et Heureuse, mon capitaine, et à l’honneur de nous revoir, à Paris, où le père Testart sera bien heureux si vous venez manger la soupe un soir à la maison. »

 

Je leur serre la main à tous, pendant que mon ordonnance, pour se donner une contenance, caresse Moujik qui est venu rôder autour de ses jambes. Les Assès, en montrant toutes leurs dents, me disent aussi : « Ah ! Boun Anii, Msiou Captan ! Boun ani ! » Je déclare que le jour de l'an ne peut pas se passer ainsi, qu'on va tirer trois litres du baril pour taire du vin chaud.

 

Le vin chaud se confectionne au dehors; c'est Testart qui en a pris la direction ; ils ont bien leurs rations de sucre qu'ils vont sacrifier pour cette bombance; les tringlots de la Corrèze ont versé les trois litres dans cette grande gamelle et le sommet d'un pain de sucre émerge du liquide comme un pic au milieu des flots ; la cuisson va commencer quand Testart intervient  « Eh bien, de quoi, c'est comme ça qu'on fait le vin chaud dans la montagne ? Oh la la ! Quel malheur ! » Et toute la supériorité gouailleuse de l'apprenti canneur de chaises reparaît au sujet de l’assaisonnement du vin chaud. C'est du citron et de la cannelle qu’il faudrait; mais où prendre du citron et de la cannelle sur les plateaux du Djurjura, en pleine Kabylie, à cent et quelques lieues de toute succursale de Potin ? Testart se désespère déjà de cette lacune, disant que c'est pas du vin chaud qu'on va faire, rien que du vin sucré comme on lui en donnait pendant sa fluxion de poitrine à l'hôpital Saint-Antoine.

 

 

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