24/01/2009
BOTTE A BOTTE (Ibrahim) Suite 2
…
Heureusement citron et cannelle sont prévus dans l’approvisionnement de ma cantine à vivres, et j’appelle mon ordonnance pour lui remplir les mains de deux magnifiques citrons et de plusieurs tuyaux de cannelle qui embaument. Comme les grandes douleurs, les grandes responsabilités sont muettes, et c’est dans un profond recueillement que s’achève le vin chaud, Testart se bornant pendant ce sacerdoce à empêcher les interventions inopportunes de ses voisins.
Quand la chose est à point, le Parisien revient vers ma tente, restée ouverte, et me dit, avec son invariable formule : « Pardon, mon capitaine, si c’était un effet de votre bonté. de prendre un verre de vin chaud avec nous! Je les rejoins, et, dans le quart en fer battu, je trinque avec eux.
Le vin chaud est bon, et sur les compliments sincères que j’en fais à Testant, une seconde tournée est versée. Ô puissance humiliante de la cannelle et du citron ! Pendant que mes hommes finissent leur gamelle, dont les Assès ont refusé de goûter : La ! Sahah ! ma n’schreubche! Kawa barca (Non, merci ! Je ne bois pas ! Du café seulement), je parcours mon domaine, où tout me semble transformé ; les chacals et les hyènes ne lancent plus que des sons graves et nullement lugubres ; les grandes ombres de mes mulets font bien sur la blancheur crue de la lune ; Moujik est d’une gaieté folle, comme s’il avait bu du vin chaud, et flaire avec ardeur les moindres broussailles qui lui semblent contenir des gibiers extraordinaires ; je rentre enfin dans ma tente, et je m’endors en effeuillant toujours la marguerite des soupçons : Coupable ? Pas coupable ? Fidèle ? Pas fidèle ? Je crois bien que je suis resté, quand le sommeil m’a pris, sur le pétale qui disait : fidèle, pas coupable ! Mais pourquoi pas de lettres depuis trois semaines ?
Le lendemain, au petit jour, mon ordonnance venait me réveiller pour lever le camp et partir, et comme je le renvoyais pour laisser faire la grasse matinée à mon monde, il me dit : « C’est que, mon capitaine, il y a Ali qui vous apporte une lettre. » Une lettre ! La lettre peut-être ! Oui, c'était elle, une lettre de Lucie sur un papier que je ne lui connaissais pas et timbrée d'un autre bureau de poste que Paris. Voici ce qu'elle disait, cette lettre de jour de l'an :
Langres, le 20 décembre 1886.
« Mon chéri, j'ai quitté Paris deux jours après toi, d'abord parce que je ne pouvais plus y vivre sans toi, ensuite parce que ma tante m'a fait venir à Langres pour me consulter sur l'achat d'une maison dont elle a envie depuis longtemps et qui est à vendre. Je resterai donc chez ma tante jusqu'à ton retour …
« Adieu, chéri adoré, je te... et te …
« Ta Lucie. >
Les souhaits de mes hommes m'avaient porté bonheur; Lucie était fidèle, en sûreté, chez sa tante. A huit heures, nous levions le camp, et je prenais la tête de ma caravane, alerte, dispos, avec des encouragements pour chacun, bavardant, faisant sauter tous les ruisseaux à mon cheval, heureux comme un enfant qui vient de recevoir ses étrennes.
FIN DU 1er CHAPITRE
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