16/05/2010
Kabylie côté femmes (Germaine LAOUST-CHANTRÉAUX) 2
Vêtements et parures
LES TATOUAGES (2)
Voici comment une femme procède pour tatouer. Elle s'assied à terre et met à sa portée tout ce dont elle aura besoin : son scalpel ou son épine, une brindille de lavande finement taillée et, dans un bol, de la suie raclée au fond d'un plat dans lequel on a toujours fait cuire de la galette — la suie provenant d'une marmite ne convient pas car elle contient des particules grasses et ne tient pas sur la peau. La jeune fille se couche sur le dos et pose sa tête sur les genoux de la tatoueuse. Celle-ci trempe la brindille de lavande dans la suie et trace d'abord le dessin sur la peau bien tendue entre le pouce et l'index de la main gauche; elle «frappe» (tuwet) ensuite rapidement avec l'aiguille ou le scalpel en suivant les traits, avec une inébranlable sûreté. Elle essuie alors le sang avec un chiffon pour voir si elle a omis quelque détail. Lorsque le sang s'arrête de couler, elle trempe le même chiffon dans la suie et frotte la peau énergiquement. Là s'arrête son rôle. Elle reçoit pour son travail une somme modique : un réal (2,50 F) pour les dessins du bras ou du cou, 1 F (en 1939) pour ceux du front et du menton; on lui offre en outre à manger et on lui donne quelques provisions de route.
Les jours suivants, la jeune fille doit observer des pratiques longues et minutieuses. Pendant une semaine, chaque matin, elle lave sa plaie à l'eau et au savon puis renouvelle la couche de suie. Les sept jours suivants elle y met un enduit appelé tizegzawt qui, comme son nom l'indique, devra donner la couleur bleue recherchée et qui est obtenue en écrasant, puis en laissant macérer, des feuilles de fèves, de blé et de morelle noire (tuccanin). Pendant sept autres jours encore elle avivera la couleur avec de l'indigo pulvérisé et mouillé avec un peu d'eau; enfin, au bout d'un mois, elle fait brûler un bout d'étoffe bleue, met les cendres dans de l'huile et en enduit les tatouages qui sont dès lors indélébiles.
La jeune fille qui vient d'être tatouée doit observer certaines instructions alimentaires. Elle ne peut pas manger de couscous pendant cinq ou sept jours car des boutons apparaîtraient, croit-elle, sur ses tatouages; elle doit éviter de boire du lait — à cause de sa couleur blanche — et, par contre, doit surtout manger des légumes verts, afin que, par action sympathique, les tatouages deviennent de la même couleur.
Les tatouages se présentent sous forme de motifs isolés sur le front, le nez, le menton, les épaules, les chevilles, les mollets, ou en larges compositions sur les bras et surtout la poitrine où la disposition et la richesse des dessins leur a valu le nom de «colliers» (tizulag). Les autres motifs tirent également leur nom des rapprochements qu'ils évoquent : miroir (leurra), mouches (izan), pioche (agelzim), peigne (imced), burnous (abernus), ailes (afriwen), têtards (tiberdeddac), serpent (azrem), scorpion (tigirdemt)... (pl. XXIX).
Si, dans l'ensemble, la décoration des tatouages reste bien particulière, on peut toutefois, sans généraliser, rapprocher les motifs triangulaires de front ou de menton de certains dessins relevés sur les poteries de la même région (Ait Yenni et Aït Aïssi surtout). Il y a plus de similitude entre les motifs de ces deux séries artistiques, en Kabylie même, qu'entre les tatouages kabyles et ceux de Tunisie par exemple.
Germaine LAOUST-CHANTRÉAUX
Kabylie côté femmes
la vie féminine à Aït Hichem, 1937-1939
Édisud ; 1990
Pages 63 à 65
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