28/09/2011
La S.A.S. de BOU NOUH (Pierre SAS)
Témoignage du Capitaine CHARRIÉ MARSAINES
À peine rentré d’Indochine, le capitaine Charrié Marsaines est affecté à la SAS de Bou Nouh le 1er juillet 1956. Avec une dizaine d'autres officiers SAS, il est accueilli à Dra (Draâ) El Mizan (Grande Kabylie) par M. ROUSSEAU, administrateur de grande classe : « Recrutez, installez-vous, leur dit-il. Construisez un bordj, des mairies. Formez des maires, des secrétaires de Mairie, des gardes-champêtres. Encadrez et ramenez les populations. Faites ce que nous n'avons pas pu faire et ne nous jugez pas, nous, vos anciens ; pensez que jusqu’à ce jour, mon adjoint et moi nous étions seuls pour administrer 120 000 Kabyles ».
En janvier 1957, le capitaine CHARRIÉ MARSAIGNES est appelé à remplacer à la SAS de Pirette, le capitaine MOREAU, qui vient d’être abattu par des rebelles à qui il avait fait des propositions de ralliement. Les rapports de l’officier SAS relatent l’évolution de la situation
Après le coup de folie du 1er novembre 1954, le djebel s’était assoupi. Alors ceux du FLN avaient adopté une autre tactique : les fausses nouvelles et la terreur superstitieuse. Les colporteurs furent les premiers arrêtés par les bandes et, de gré ou de force, devinrent des propagandistes : « Ô femme veux-tu m’acheter des savonnettes, de l’herbe pour conjurer le sort ? Sais-tu qu'on dit partout dans la ville d’où je viens que les Chrétiens vont bientôt être chassés ? Les Chinois vont venir nous aider...Notre immense Armée de libération chassera les Roumis. ». Deux colporteurs, puis quatre parlaient de même. Les femmes croyaient tout, convertissaient les hommes.
Avril 1957. La crainte du chef de bande SLIMANI (assassin du Capitaine MOREAU) détruit ou, tout au moins, freine notre effort à tels point que des fusils d’autodéfense ont été ramenés au Chef de S.A.S.
Mai 1957. La rébellion a repris espoir en lisant les journaux de France et a lancé une contre-attaque psychologique en se basant sur eux. …
Juin 1957. L'immense lassitude des populations se transforme en terreur. À noter cependant quelques engagements dans nos harkas et Maghzens dans un but de vengeance…
Septembre 1957. Attentisme général et reprise en main par les rebelles, grâce à l'armement en provenance de Tunisie. Un tract du FLN est distribué aux Musulmans qui servent dans l’armée française : « Musulmans qui servez les colonialistes, vous trahissez vos frères. Ne croyez pas que la France vous récompense. Elle se servira de vous, puis vous abandonnera, comme elle a abandonné ses partisans en Indochine, en Tunisie, au Maroc. Alors vous subirez le sort des amis du Glaoui. »
Octobre 1957. Les membres des cellules arrêtés il y a quatre mois ont été libérés, sans que la SAS ni les militaires soient prévenus.
Janvier 1958. Lassitude des habitants de Bou Mahni qui deviennent réticents à l'égard des rebelles.
Octobre 1958. L'obligation faite aux militaires de quitter les Comités de Salut public (CSP) a jeté un trouble profond. La réflexion générale de nos Kabyles : « Tu nous abandonnes comme le veut de Gaulle. Il n’y en plus que pour les fellagha ».
Bilan opérationnel de la SAS : plus de 200 sorties depuis janvier 1957. 12 cellules détruites ou démantelées, 20 à 30 rebelles tués. 10 blessés certains, 44 prisonniers, 43 armes récupérées.
L'organisation du renseignement à la SAS est maintenant parfaitement au point et donne d’excellents résultats. Il ne reste plus une Cellule intacte dans tout le Bou Mahni.
Sur le plan des réalisations, la SAS de Pirette possède une cité musulmane en dur avec eau courante, un centre médico-social, un centre féminin, trois écoles. Pirette est devenu un centre de regroupement pour tous ceux qui refusent leur concours au rebelle ; ils y trouvent travail et sécurité. Nous maintenons la liaison avec les travailleurs de Métropole par la publication d'un bulletin "Les Échos du Djurdjura"
Janvier 1959. Plus de la moitié des Officiers SAS et 75% du personnel civil ont été menacés de mauvaise note ou de contrat non renouvelé, pour influencer la balance politique. Le succès des listes libérales de 1’administration dans le bled a été obtenu par cette ingérence scandaleuse.
Yves ROMANETTI
Vie d'un peuple mort
Clefs pour la Kabylie
Éditions du Scorpion
196 1
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13/09/2011
Moi qui porte un nom de Femme (Hadjira OUBACHIR)
Pleurent les poutres endeuillées
À ma naissance
Pleure ma mère coupable
De l’innocence
Pleure le silo vide
De ses semences
Pleure le foyer éteint, désespérance
Pleure le patriarche atteint
Dans sa puissance
Noir le ciel couleur
De nos péchés
Noir le visage des hommes
Par nous blessés
Noires les mains de ma mère
D’avoir peiné
Amères sont les paroles
Tant répétées
Maudissant son ventre
Désespéré
Tortueuses sont les routes
Vite parcourues
À la recherche de moi
Cette inconnue
Je l’aperçois enfin
De deuil, vêtue
Pleure, noir d’amertume
Toute honte bue
Et j’ai comme un souvenir
Du déjà vu
Un jour presque fleuri
J’ouvre les yeux
Je vois rose
Un ciel bleu
La lune et les étoiles
Couleur de feu
Des sons et des lumières
Réveil radieux
Que cache à ma face les ténébreux
Un jour presque parfait
J’ai espéré
Brûler tous les haillons
De mes pensées
Mais le poids de la vertu
Lourd, obstiné
A voué au silence
Ma dignité
J’ai pensé à ma mère
Et j’ai pleuré
Un jour, presque éveillée
J’ose le moi
Je l’habille de courage
De toutes les voix
Enfermées dans l’honneur
De notre foi
Je me retrouve enchaînée
De fils de soie
La vertu, la famille
Et leurs lois
Un jour je convole aussi
En injustes noces
Je me départis des rêves
Et des romances
Je trime, j’attends sur le seuil
Des espérances
Un sourire ou un merci
Pour ma souffrance
Il me renvoie le dédain
De mon enfance
Des verres de poison
À tire larigot
Les insultes et les coups pleuvent
Sur mon égo
Ma mère, mes enfants ont
Aussi leur lot
Il n’y a que lui qui
Porte le flambeau
Je ramasse ma vie réduite
En lambeaux
Peut être suis-je née trop tôt ?
Hadjira.
Tirga n’tmes
Rêves de feu
Éditions Achab
Tizi-Ouzou
2010
08:05 | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook
06/09/2011
Éclat de vie (Malika ARABI)
Le top du top chez la fille kabyle c’est sa virginité. Celle qui n’est pas vierge est maudite. On peut tuer pour cela. Le nombre de filles répudiées le lendemain de leur mariage parce qu’elles ont perdu leur vertu est incalculable. Tout l’honneur de la famille tourne autour de ce bout de chair qu’on appelle l’hymen. L’homme veut avoir l’honneur d’être le premier à toucher à sa femme et il veut paradoxalement avoir une fille expérimentée dans son lit. Avoir le beurre et l’argent du beurre en quelque sorte. Je trouve pour ma part le rituel de la nuit de noce consistant à montrer le fameux drap maculé du sang de la vierge, obscène et avilissant. Je croyais naïvement que de nos jours ces pratiques sont révolues. Que nenni.
Il y a juste quelques jours une dame d’une extrême jeunesse m’a raconté sa nuit de noce d’une voix pleine d’amertume :
« Mon mari s’est saoulé le jour de notre mariage, je ne le lui pardonnerai jamais. Il est rentré dans notre chambre nuptiale et les premières paroles qu’il m’a dites furent : "Allez, on se dépêche pour être tranquilles après ; c’est un vrai souci. Il y a tous mes copains qui attendent que je leur montre le drap afin de tirer des coups de feu." Je l’ai regardé incrédule. Bonjour le romantisme. Et je lui ai dit : "Alors ils seront déçus tes copains car c’est ma période de menstruation, il ne se passera rien du tout." Dépité, il ressortit et revint quelques minutes plus tard pour me dire : " C’est bon, je leur ai dit que ce n’était pas pour cette nuit vu que tu as tes règles. Ils sont partis mais ils sont déçus. "
- Et que veux-tu qu’on dise à toutes ces femmes qui attendent dans le salon ? Tu sais, c’est l’horreur.
J’ai aujourd’hui encore beaucoup de colère en moi quand je me rappelle ce moment. On devrait bannir certaines de nos coutumes ; c’est trop rabaissant pour une femme. De telles pratiques ne devraient plus être permises.
Dans l’après-midi ma mère est venue me rendre visite, elle a vu mon air abattu et a voulu savoir ce qui s’était passé. Quand je lui ai tout raconté et que je lui ai dit à quel point j’étais humiliée, elle s’est contentée de pleurer à son tour. Je voyais ma mère pleurer pour la première fois, tu te rends compte ? Rendre des gens aussi malheureux pour des futilités, cela me révolte. Tu vois le paradoxe de la société kabyle ? On t’élève en te gavant de toutes sortes de principes. La pudeur entre autres et dans ce cas de figure précis, non seulement ils la perdent cette pudeur dont on nous a saoulés pendant des années mais ils deviennent carrément obscènes. Va comprendre.
J’ai vraiment choisi mon mari enchaîna-t-elle, personne ne me l’a imposé. J’ai cru l’aimer ou plutôt mes sentiments étaient quelque peu ambigus. Mon père était jaloux et possessif, il poussait son machisme jusqu’à nous interdire à nous les filles, de regarder par la fenêtre. Une femme qui s’expose aux regards des passants n’est autre qu’une dévergondée. On ne pouvait même pas écouter librement la radio. Il fallait la mettre en sourdine quand il n’était pas là et l’éteindre dès qu’il rentrait. C’était un régime quasi militaire. Je croyais m’extirper de son emprise et m’affranchir enfin par le mariage. Mais voilà, comme tous les Kabyles mon époux a été élevé par une mère qui lui a toujours fait croire que les hommes valaient beaucoup mieux que les femmes. On ne sait pas pourquoi l’amour commence et pourquoi il se termine. Pourquoi telle personne et pas telle autre. Il a commencé à me frapper la première année de notre mariage. J’étais enceinte de mon premier enfant. Quand ma grossesse a atteint le huitième mois et que je commençais à devenir lourde, nous sommes partis ramener sa grande sœur célibataire pour m’aider dans les tâches ménagères. La première réaction de sa sœur était de refuser mais il l’a obligée en lui disant : "J’ai besoin de toi, si tu me refuses ton aide, ne compte plus jamais sur moi." La mort dans l’âme, elle est montée dans notre voiture mais durant tout le trajet, elle n’avait pas cessé de râler, de tempêter contre moi. Excédée, je me suis retournée vers elle et je lui ai dit : "Personne ne t’oblige à venir, si tu ne veux pas m’aider, on peut toujours faire demi-tour ; je ne supporte pas le fait que tu te mettes en colère, tu es en train de tout gâcher." Je n’avais pas terminé ma phrase que je sens le poing de mon mari s’abattre de toutes ses forces sur mon nez. J’ai failli m’évanouir. Le sang s’est mis à gicler et toute ma poitrine en était pleine. Je n’avais rien compris. Mon mari, cet homme que j’ai choisi parmi tant d’autres, cet homme que j’ai aimé est devenu ce monstre ? Et ma belle-sœur très fière de lui a dit : " Merci mon frère, c’est ainsi que l’homme, le vrai, se comporte avec sa femme. Il ne faut pas la laisser te mener par le bout du nez, montre lui que c’est toi qui portes la culotte et non l’inverse."
C’est vrai que le coup que je venais de recevoir était très douloureux, mais pas autant que l’humiliation, je me suis sentie bafouée, je valais moins que zéro. Nous devions passer chez mes parents récupérer quelques effets que j’avais laissés chez eux. En me voyant, ma mère a hurlé : "C’est quoi tout ce sang ? Que t’est-il arrivé ? " Mon mari et sa sœur se sont regardés et ont tous les deux baissé les yeux et moi j’ai dit : " Nous avons fait un petit accident sur la route, ce n’est pas grave, ne t’en fais pas, je n’ai rien, j’ai juste saigné du nez." Première grosse bourde de ma vie, il n’eut pas fallu que je mente. Je venais de cautionner la monstruosité de mon mari. Je ne sais pas si ma mère a cru à cette histoire d’accident mais je ne me sentais pas le courage de lui dire la vérité. Je n’avais pas la force de lui dire que je venais d’être battue comme une chienne par l’homme que j’aimais. J’avais trop honte et elle ne l’a jamais su. Depuis ce jour, je n’avais plus sur mon mari le même regard. Quelque chose s’est définitivement brisée et surtout je ne croyais plus en l’amour. C’est quoi l’amour ? Ce n’est qu’un mot qui a perdu tout son noble sens à mes yeux. Mon mari ne s’est jamais excusé du mal qu’il m’a fait. Un vrai homme se doit de ne pas demander pardon à sa femme. Oui, surtout à sa femme. C’est un signe de faiblesse. J’ai cessé de l’aimer comme au tout début de notre mariage mais je lui ai pardonné en me disant que c’était sûrement une erreur, qu’il n’allait plus jamais recommencer et surtout je ne voulais pas que le bébé que je portais s’en ressentît. Je ne voulais pas quitter mon mari sur un coup de colère, justifié certes mais il fallait que je pardonne. Si je voulais que ma fille vive dans des conditions qui lui permettraient de s’épanouir. J’ai donc pardonné. Ce n’était malheureusement que le début d’une chaîne interminable de coups, de blessures physiques et morales. J’avais droit à une bastonnade au moins une fois par an. Comme j’avais menti à ma mère la première fois, il savait que je n’allais jamais le raconter. Je n’avais pas de relations fusionnelles avec mon père, donc il était hors de question que je lui raconte à lui mes malheurs car il était capable de le battre à son tour. … Une fois mes bleus partis, je ressors, je me maquille et je joue à la femme heureuse, à celle qui est épanouie. Il ne faut surtout éveiller ni la pitié des gens ni la joie de ceux qui ne m’aiment pas ou qui me jalousent. Tous mes voisins s’imaginent que mon couple est modèle. Jamais je ne me suis confiée à quiconque, jamais je n’ai laissé paraître ma détresse. Dieu seul sait à quel point je souffre le martyre, à quel point je suis une écorchée vive. J’ai quand même la conviction que c’est réellement un lâche car la dernière fois qu’il m’a battue, je lui ai dit : " Ecoute moi bien, je ne veux plus que tu me touches, je ne veux plus que tes sales pattes se posent sur moi, car la prochaine fois que tu oseras le faire, je ne raconterai ni à mon père ni à ma mère mais je te donne ma parole d’honneur que j’irai déposer plainte pour coups et blessures et tu sais que je le ferai alors ne t’amuse plus jamais à récidiver." Et figure-toi qu’il n’a plus jamais recommencé.
En plus d’être mesquin, lâche, monstrueux et j’en passe, mon mari est un peureux. J’ai épousé une poule mouillée, tu te rends compte. Le seul adversaire contre qui il se sentait fort c’était moi, sa femme. J’ai cessé de l’aimer, j’ai cessé de l’admirer, il ne représente plus rien pour moi. J’ai l’impression que tu ne me crois pas me dit-elle en voyant mon air abasourdi. … »
…
J’étais restée pour ma part un bon moment sans voix. Comment faire pour l’aider ?
Il y a encore beaucoup de travail à accomplir au niveau des mentalités quant aux préjugés sur la femme en général et sur la jeune fille en particulier et avec l’avènement du courant islamiste, rien n’est acquis. On doit se battre avec acharnement et sans répit pour annihiler les relations hommes/femmes régies par la logique du plus fort et cette domination abjecte qui enlève à la femme tout droit à la dignité. Ce qui m’attriste c’est le fait que nos aînées se soient battues pour enlever le haïk, ce voile blanc qu’avec du recul je trouve élégant en comparaison avec cette horreur qu'on appelle le hidjab.
Éclats de vie
Éditions Tiziwi
2011
09:17 | Lien permanent | Commentaires (23) | Facebook