30/11/2011
Pour l’honneur d’un village (Ali MEBTOUCHE) 1
Chapitre II
Parmi tous ces hommes que la France coloniale avait contraints à s'expatrier ou à prendre le maquis pour échapper à la machine infernale de sa justice, il y avait le dénommé Ouali. Il était encore enfant lorsque son père, ses grands-parents et tous ses cousins, par peur des représailles, furent obligés de quitter leur village natal, situé à Tizi Hibel, dans les monts du Djurdjura. Comme des milliers d'autres, ils durent fuir leur région natale pour échapper à la répression coloniale.
Après des mois d'errance à travers la Kabylie, ils trouvèrent enfin refuge de l'autre côté de la vallée de l'Oued Sibaou. Ils furent accueillis par une tribu de Ait Aïssa Mimoun, établie dans la commune de Ouaguenoun. Après qu'on leur eût accordé le droit d'asile (lannaya), le grand-père de Ouali et toute sa famille s'installèrent dans un petit village nommé Imkechren, face à la ville actuelle de Makouda. Ils se joignirent à une petite tribu du nom de At Yahya.
Dès leur arrivée dans ce village, habité par quatre tribus dont les At Yahya, le grand-père de Ouali, son père et tous les siens se mirent au travail, comme tous les nouveaux migrants. Avec des branches, ils construisirent deux gourbis dans un terrain d'une centaine de mètres carrés offert par la tribu d'Aït Yahya. Ils défrichèrent quelques lopins de terre en dessous du village pour en faire un potager. Ils se mirent à greffer des oliviers et planter des figuiers et d'autres sortes d'arbres fruitiers susceptibles de les nourrir dans ces endroits très accidentés dont personne ne voulait.
Depuis qu'on l'avait chassé avec sa famille, Ouali avait gardé une haine aveugle à l'égard de tous les individus qui, de près ou de loin, représentaient l'autorité coloniale. Comme la plupart de ses compatriotes que la France avait exclus du savoir, Ouali n'avait jamais mis les pieds dans une école. Il suivit le chemin de ses ancêtres, de rudes paysans. À l'âge de dix-neuf ans, les membres d'une famille du village voisin nommé Menaâm, situé dans une cuvette en contrebas de son village, lui accordèrent la main de leur fille. L’année qui suivit le mariage, le père de Ouali mourut malheureusement de maladie. Après la mort de son grand-père et celle de son père, Ouali devint désormais le chef de tous les siens. C'était à lui de se débrouiller pour nourrir et protéger toute sa famille.
Il était prêt à prendre la relève de son père. Avant de mourir, ce dernier lui avait appris à se servir de son fusil, avec lequel il avait lui-même combattu les soldats du maréchal Randon quelques années auparavant. Il le lui laissa en héritage, en espérant que peut-être un jour viendrait où son fils pourrait le venger des ennemis qui s'étaient approprié sa terre (tamurti-s). Bien qu'il se sentît un peu intimidé dans ce village qui avait pourtant adopté sa famille, Ouali hissait avec fierté le fusil laissé par son père sur son épaule et partait dans la campagne (leghlla) chasser les perdrix et les lièvres avec son voisin et meilleur ami M'hand. Il était le seul à avoir un fusil de chasse dans le village. Posséder une telle arme, à l'époque, était un privilège et en même temps une protection contre tous les dangers qui pouvaient menacer sa famille et même son village. Cette situation assurait à Ouali le respect de tous les villageois...
Depuis cette honteuse défaite, la Kabylie, sombrait encore davantage dans la misère. Pour survivre, les hommes étaient obligés de s'expatrier dans les grandes villes comme Alger. Certains se faisaient embaucher dans des domaines agricoles appartenant aux colons, pour préparer la terre à la culture des primeurs, piocher sous les orangers et engranger les récoltes, mais surtout pour cueillir les oranges et les mandarines au moment de la saison.
…
Pour l’honneur d’un village
Éditons Kirographaires
2011
08:02 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook
Les commentaires sont fermés.