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01/02/2012

Hold-up à la Casbah (Tarik DJERROUD) 3

Les accents patriotiques du général se voulaient convaincants. Le visage du Roi s’éclaircit et son regard brillait avec la sérénité d’une âme satisfaite :

- Je ne doute point ! Nous allons triompher parce qu’on n’a rien à perdre, mon général !

Sentant le moment opportun pour quêter le succès et ensevelir à tout jamais un passé pour lequel il espérait tant et si bien d’en prendre ses distances, De Bourmont fondit d’un large sourire, franchement béat, fit le serment autour de lui de ne rien laisser filtrer de cette brève réunion, et sortit en compagnie du baron d’Haussez, son acolyte, pour se dilater la rate, en laissant flotter derrière eux le parfum d’un rapide triomphe.

Le 2 mars 1830, le ciel parisien grondait dès le petit matin et lâchait des trombes d’eau incessantes. Charles X portait chichement des habits d’officier sur le chemin menant à la salle des Gardes du Louvre entourée d’un jardin qui brillait d’une verdure lavée. Parvenu à la tribune avec une lumière étincelante dans le regard, il demanda aux Pairs et aux députés de s’asseoir avec une voix rauque. D’une bonne oreille, l’assistance s’impatientait d’écouter l’oracle du jour : « Au milieu des graves événements dont l’Europe était occupée, clamait le Roi, j’ai dû suspendre le juste ressentiment contre une puissance barbaresque ; mais je ne puis laisser plus longtemps impunie l’insulte faite à mon pavillon ; la réparation éclatante que je veux obtenir, en satisfaisant à l’honneur de la France, tournera, avec l’aide du Tout-Puissant, au profit de la Chrétienté ! »

Les présents étaient froids et pantois mais impuissants à changer quoi que ce fût. Depuis, tous les arcanes de l’État étaient résolument tournés vers le port de Toulon, tandis qu’au Palais des Tuileries, le Roi se lovait dans une ambiance empreinte de satisfaction d’avoir mis deux bons fers au feu et appelait vivement la Providence à soutenir ses bataillons.

Et pendant ce temps, guère enthousiasmé, le pauvre peuple parisien suivait assidûment la fronde que menait le député de la Seine, Alexandre de Laborde, pour faire échouer l’expédition. Un petit matin, de nombreux tracts signés solennellement du nom du député étaient collés sur les murs de Paris, où les passants lisaient : « … Nos mesures présentaient le singulier résultat que le seul créancier, en faveur duquel on avait reconnu la créance, fut le seul qui n’en reçut aucune part ». Sur un autre papier, on pouvait lire : «… Mais enfin, cette guerre est-elle juste ? Non vraiment, je ne crains point de le dire, non. Un jury politique, un congrès européen, comme le rêvait Henri IV, ne l’aurait point pensé. Il aurait résumé cette affaire : le Dey réclame, on le vole, il se plaint, on l’insulte ; il se fâche, on le tue ! Cette guerre est-elle utile ? Cette guerre est-elle légale ? Une voix s’élèverait plus ancienne, plus haute que la Charte, celle de la morale publique et du droit naturel. Elle assignerait les ministres à comparaître à la barre de la France et de l’humanité : à la barre de la France qui a droit de leur demander compte de la vie et de la fortune de ses enfants, qui leur dirait : « Varus, rends-moi mes légions ! Varus, rends-moi mes trésors ! »

Le lendemain, sur les étals des marchands de presse, la Une du Figaro était traversée par une éloquente manchette, encore plus frondeuse et injurieuse, savamment étudiée, et mise en exergue avec une langue ou le vif mécontentement de la décision de la guerre le disputait au choix impudent du général en chef : « M. de Bourmont veut être maréchal : il mérite le bâton ! »

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L’hiver était rude. Devant l’instabilité politique chronique, la hargne des Chambres et la fébrilité de la monarchie, le Roi avait solennellement cautionné une expédition monstre sur une contrée encore plus vulnérable, seul exutoire qu’il trouva pour mieux se changer de ses oripeaux éclaboussés par les nombreux échecs de sa politique intérieure.

 

Tarik DJERROUD

Hold-up à la Casbah

 

Edifiions Belles Lettres

2012

 

 

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