09/05/2012
20 août 2002 (Boualem SANSAL) 2
Même jour, 20 heures.
Le JT. Des mots sur des images à la queue leu leu. Pas de couacs, la partition est la même depuis quarante ans, le martèlement est rodé. Ceux qui la jouent et ceux qui l'écoutent se comprennent parfaitement. Pour être de la partie, il suffit de savoir se bloquer les neurones et de ne pas respirer. Le suspens est dans la longueur du récit, quelque part entre trente petites minutes et trois grandes heures. Ça dépend des jours. Des fois, le JT s'arrête subitement, comme si une annonce exceptionnelle allait intervenir et d'autres fois il se prolonge péniblement comme si quelque nouvelle extraordinaire tardait à venir aux oreilles du speaker. Quand il n'y a pas de JT mais la lecture du Coran à la place, c'est que le président a enfin été assassiné. La longueur du JT tient à cela mais bon comme on ne peut pas effacer un président tous les jours à heures fixes, alors les choses traînent en longueur. La prière de l'absent dure sept jours et sept nuits, c'est la coutume. Pendant que la junte est en conclave, on se branche discrètement sur les antennes françaises pour savoir ce qui va sortir de nos casernes.
Je ne sais pas pourquoi j'ai suivi ce journal; je ne prends jamais de cette drogue. Ah oui, ça me revient, le nouveau porte-parole du gouvernement et ministre de la Culture et de la Communication donne une conférence de presse ! En soi la chose est d'un intérêt absolument nul, mais devient prodigieusement passionnante dès lors que ladite voix a pour nom Khalida Messaoudi. Elle s'est fait connaître dans le monde entier comme notre championne, la, nouvelle Kahina, celle par qui l'envahisseur arabo-islamique serait enfin bouté hors du pays. Ce qu'elle dira importe peu, m'étais-je dit, ce qui compte c'est de voir comment une opposante irréductible au régime honni, féministe et laïque jusqu'au bout des ongles, une vraie bombe rousse transformée subitement, ce mois de juin, en ministre dudit régime, va se contorsionner pour retourner sa jupe sans perdre la face devant un parterre de journalistes remontés à bloc contre celle qui fut l'idole des guérilleros de la démocratie. Hé bien, le spectacle fut édifiant ! Je croyais entendre siffler au-dessus de ma tête les vieux serpents du parti unique !
Le pouvoir a encore gagné, il a totalement décrédibilisé la prétendue opposition démocratique. Tout est affaire de prix en ce bas monde.
JOURNAL INTIME ET POLITIQUE
Algérie, 40 ans après.
Pages 162-165 (Boualem SANSAL)
Éditions de l'Aube
2003
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