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04/07/2012

PUTAIN D'INDÉPENDANCE ! (Kaddour RIAD) 3

Apollon remettra le ciel à sa place !

Adieu vendanges, adieu Gitans, adieu plages, adieu hôtel Césarée, cinémas, bars, dancing, lieux saints. Voici l’indépendance déferlante ! Voici les ruines romaines de plus en plus ruinées ! Voici les ruines françaises pillées ! Voici les nouvelles ruines algériennes ! Circulez ! Circulez ! Seule issue, les mosquées pour les candidats aux maquis islamistes ou le port pour la traversée clandestine. Ô radeau emmène-moi loin de cette ruine ! Roma khir men touma ! Rome c’est mieux que vous autres ! Adieu fiers escaliers chéris dégringolant fièrement vers la route menant au port, à l’ex-petite plage, à l’ex-dancing « La Vague » et au non moins ex-restaurant sur l’eau abandonné à la fureur des vagues barbares de l’indépendance déferlante. Adieu escaliers, fiefs de mes jeux d’enfants et de mon école buissonnière. Joyeuses glissades sur d’impeccables rampes de fer, aujourd’hui dans un état indescriptible de saleté et de dégradations pour le plus grand malheur des passants obligés de surfer entre un tas de merde sous un halo acide et moisi d’excréments d’origine animale et humaine exacerbé par la chaleur indépendante de notre volonté et le laisser-aller spectaculaire des nouvelles autorités césariennes.

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(La fontaine en 2011 d'après Ness Cherchell)

Adieu auguste place Césarée souvenir de mes évènements d’Algérie ! Bonjour place des martyrs ! Le nouveau pouvoir en place impuissant devant le poids séculaire des monuments en marbre et des bellombras aux ramifications incontrôlables de la place Césarée se vengea lâchement sur les frêles baraques colorées des marchands de glace qui faisaient tout le charme de la place attirant les enfants comme des mouches mais hélas dérangeant le repos mérité de nos martyrs installés royalement place Césarée rebaptisée place des martyrs par le nouveau pouvoir en place. Adieu café de la petite mosquée où mon père écrivain public rédigeait les lettres françaises pour le compte de nos frères analphabètes piégés par les rouages linguistiques du romantisme bureaucratique colonial. Adieu café indigène où la clientèle largement berbère de mon père venant de nos montagnes se donnait rendez-vous autour d’un thé à la menthe ou d’un café « moitié-moitié », autant de lait que de café. C’est dans ce café, qu’à ma grande fierté, je fus arrêté pour la première fois de ma vie quand les soldats français débarquèrent armés jusqu’aux dents pour embarquer tout ce pauvre monde piégé par les évènements. Parqués place Césarée, les mains en l’air sous une pluie fine et caressante comme pour nous aider à faire face à ce destin tragique, nous avions attendu je ne sais quoi pendant des heures aussi debout et de marbre que les monuments de la place.

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Ma mère, dans tous ses états ce jour là, imagina le pire. Que sont-ils devenus ? Perdus à jamais dans les maquis de nos montagnes nous appelant à l’indépendance de notre patrie ? Ou pire encore ! Moi avalé par les tourbillons maritimes de la plage Tizirine ? Mon père tout aussi perdu dans les bras d’une pied-noir atypique, un verre de vin rouge à la main au milieu des colons insouciants et des arabes mécréants chez ce maudit Apollon ? Libérés en début de soirée, tout ça aurait pu finir par un grand ouf, Dieu merci ! Mais non ! Cette indépendance nous a encore gâché la soirée à cause des cortèges incessants de tissus achetés à prix d’or, du vacarme tyrannique de la Singer, des centaines de drapeaux et de costumes patriotiques qui prennent toute la place, de tout cet argent dilapidé pour devenir des esclaves comme sous les Turcs, à cause des poissons qui se dévorent entre eux comme les chefs du F.L.N. et surtout des derniers toutous montés au maquis qui vont bientôt nous faire voir de toutes les couleurs de l’indépendance. Voilà cette putain d’indépendance ! Ajustant son béret basque, mon père qui n’avait rien à foutre des consignes barbares du F.L.N. qui interdisaient, sous peine d’avoir le nez décapité, toute consommation d’alcool et de tabac pour cause de révolution, avait en tous cas, ce soir là, d’autres muses à fouetter. Il claqua la porte, traversa la cour d’un pas impérial violant l’espace sacré de la gent féminine avoisinante et se dirigea tout droit, pendant qu’il était encore temps, chez Apollon, boire un dernier verre à la santé de la liberté avant le déluge annoncé de l’indépendance déferlante ! Réfugiée dans le fatras des chutes de soies et de taffetas nationalistes, ma mère, abattue, éclata en sanglots la tête livrée à la machine à coudre. Je m’endormis, éveillé comme un gladiateur à la veille d’un combat capital, après avoir donné quelques audacieux coups de pieds au plafond. Le ciel peut se la ramener, Apollon le remettra à sa place !

 

Kaddour RIAD

PUTAIN D'INDÉPENDANCE !

 

Éditions La Contre Allée

2012

 

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