Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/06/2013

L'origine des Imouchar’ (Adolphe HANOTEAU)

Dans mes conversations avec les Imouchar’, j'ai fait revenir souvent l'entretien sur l'origine de leur peuple ; mais je les ai trouvés à cet égard d'une ignorance au moins égale à la nôtre. À défaut de traditions nationales, ils ont adopté, avec des variantes plus ou moins étranges, les fables d'Ibn Khaldoun et autres généalogistes arabes ou berbères. L'idée qui parait les flatter le plus, est celle d'une origine yéménite qui les rattacherait à la race arabe. M. Reinaud, dans un remarquable mémoire sur les populations du nord de l'Afrique, a très bien développé les raisons qui, peu de temps après l'invasion arabe, ont engagé les Berbères à se créer des généalogies au moyen desquelles ils cherchaient à établir leur communauté d'origine avec le peuple conquérant. Le savant académicien a fait trop bonne justice de ces prétentions, pour que je songe à reproduire ici celles que j'ai entendu émettre.

 

Je ne m'étendrai pas plus longtemps sur ce sujet ; mon but n'a pas été de raconter l'histoire ni de décrire en détail les mœurs et les usages des Imouchar' ; j'ai voulu seulement donner une idée générale de leur vie sociale, pour servir à l'intelligence des récits qui se trouvent à la fin de cet ouvrage.

J'ai cherché aussi à faire ressortir l'importance que doit avoir un jour, sous le rapport politique, l'étude de la langue tamachek’. Au point de vue de la science, cette connaissance présente un intérêt d'un autre ordre, qui pour les hommes d'étude a aussi une valeur.

 

De, tous les dialectes berbers, c’est le seul, à ma connaissance, qui soit resté à peu près pur de mélange avec l'arabe.

Cet heureux état de conservation autorise à penser qu'on trouvera dans ce dialecte, mieux que partout ailleurs, les véritables formes et les règles grammaticales de la langue berbère. C'est le seul aussi qui ait conservé un système d'écriture, système grossier et barbare il est vrai, mais qui pourra peut-être, néanmoins, fournir des indications précieuses. En comparant ses signes avec les caractères des anciennes inscriptions appelées libyques, on ne peut méconnaître leur ressemblance et il est permis d'espérer que la connaissance du tamachek’ conduira un jour à l'interprétation de ces inscriptions, dont le sens a échappé jusqu'à présent aux recherches des savants.

Ce ne sera pas, sans doute, le résultat d'un premier effort ; trop de difficultés restent encore à surmonter ; au moins aura-t-on une base que des études ultérieures ne manqueront pas d'élargir et de consolider. Elle servira de point de départ pour rechercher à travers le cours des siècles les modifications du langage des anciens habitants de l'Afrique du nord.

Dans les contrées habitées par les Imouchar’, les parois des rochers qui bordent les routes, et celles des cavernes des montagnes, sont couvertes d'inscriptions, les unes gravées, les autres simplement tracées avec du goudron. Ces inscriptions sont d'époques différentes, et un grand nombre remontent à des dates déjà assez anciennes pour que les habitants du pays ne puissent plus les comprendre, dans leur entier. Elles ne présentent toutefois, au dire des Imouchar’, que de légères différences avec les écrits modernes, et il n'est pas à supposer qu'elles résistent à l'analyse raisonnée d'observateurs européens. On doit attendre beaucoup, à mon avis, de l'examen de ces inscriptions, et c'est par leur étude comparative qu'on arrivera, si je ne me trompe, à l'intelligence des inscriptions de l'antiquité.

 

Cet ouvrage a été composé sur le même plan que mon Essai de grammaire kabyle, dont j'ai conservé la rédaction partout où il était possible de le faire. S'il n'avait eu pour objet que de faire connaître la langue berbère en général et d'établir une comparaison avec le kabyle, j'aurais pu me contenter souvent de renvoyer à mon premier travail. En agissant ainsi, j’aurais manqué, je crois, le but pratique de ce livre, destiné surtout à faciliter l'étude de la langue des Imouchar' aux personnes qui voudraient voyager dans l'intérieur de l'Afrique, et qui n'auraient probablement aucun intérêt à apprendre le kabyle.

Qu'il me soit permis, d'entrer dans quelques détails sur les circonstances qui m'ont engagé à entreprendre ce dernier travail, et sur la manière dont il a été fait.

À l'époque où j'étudiais le kabyle, j'eus un jour l'occasion de voir un kadhi des Ouled Sidi Chikh de la province d'Oran.

La conversation vint à tomber sur les Imouchar' qui avaient séjourné à Alger, quelque temps auparavant, et cet homme m'apprit qu'il était né à Timbouctou d'un père arabe et d'une femme tamachek' des Ioulemeden. Pendant son enfance il avait parlé la langue de sa mère ; mais venu jeune en Algérie, il l'avait à peu près oubliée. Je lui fis quelques questions sur cette langue, et je ne tardai pas à reconnaître en elle un dialecte berbère. …

 

(Draâ el Mizan ; février 1859)

 

 

HANOTEAU_Grammaire tamachek'_1860_couv.jpgAdolphe HANOTEAU

Essai de grammaire tamachek'

 

Imprimerie impériale. Paris

1860

 

(Extrait de la préface)

 

 

 

Les commentaires sont fermés.