02/12/2009
Frères kabyles ( VITO ) Extrait 2
L’homme ne savait comment exprimer sa gratitude. Il les invita à entrer pour boire un café. C'était une grande démonstration d'amitié. Johan était d'autant plus heureux que c'était la première fois qu'il était convié dans une mechta Après une porte basse servant de portail les voilà sur une aire pavée de rochers plus ou moins aplanis où se languissent quelques poules et un chien maigre. Plusieurs portes donnent sur une cour intérieure... L'hôte les invitait à le suivre. Dans la pénombre de la pièce, ils aperçurent, dans la lueur d'une flamme, une silhouette féminine qui se glissait dans une autre chambre. La coutume le voulait ainsi en présence d'étrangers à la famille.
L’homme leur lit signe de s'asseoir sur la natte d’alfa à terre. Pendant qu'il prenait un ustensile, ressemblant à une cafetière, pour le mettre sur le feu du canoun, Johan et Marc scrutaient la pièce avec curiosité.
Ils reconnaissaient certaines choses familières : un cruchon d'eau à portée de leurs mains, des jarres, un pichet de terre, des piments rouges et secs, des oignons et des cordes de chanvre suspendus aux murs, des paniers en alfa, quelques boîtes de conserve vides, des morceaux de toile de jute grossière servant de torchons. Alignées le long du mur d'entrée, plusieurs koufis (grosses jarres) en terre cuite, devant contenir du grain, étaient reconnaissables à leurs gros trous irréguliers placés à différentes hauteurs. À terre, une calebasse pour battre le beurre, appuyée contre une jarre ventrue en terre toute imbibée d'huile. Plusieurs petites niches difformes et obscures, à même les murs, abritaient des choses assez hétéroclites : cuillères en bois, soucoupe contenant des dattes sèches, boîte à café, petite casserole toute cabossée, minuscules tasses, autres objets difficiles à identifier.
Le villageois se mit à servir un café turc, concentré dégageant un arôme très fort. Une certaine fraîcheur régnait dans la pièce et cette boisson réchauffa.
Un jeune garçon apparut en écartant un pan de tissus. Il s'approcha intimidé.
- C'est Méziane, mon dernier fils, dit l'homme. Presque tous ses frères sont mariés et demeurent ici.
Marc qui connaissait les coutumes des foyers kabyles savait que chaque ménage avait son propre toit dont la porte donnait sur la cour commune. Ainsi était constituée la cellule familiale.
L'hôte était fier de son plus jeune enfant qui paraissait âgé d'une douzaine d'années.
- Je suis rentré de France, dit-il, depuis deux mois. J'y suis resté trois ans pour travailler afin de faire vivre ma famille demeurée ici.
Pendant son absence, le fils aîné avait pris la responsabilité de la communauté familiale. À son tour maintenant, il était parti en métropole avec deux autres frères. C'était en quelque sorte une relève des responsabilités et des devoirs familiaux.
- Ici, dit encore l'homme, comme pour s'excuser, ce n'est pas comme en France. Nous vivons comme bêtes et c'est la misère. Oui, je voudrais que Méziane aille à l'école pour devenir « dégourdi », pour qu'il puisse vivre ailleurs définitivement. C'est la seule issue souhaitable.
Durant ce temps on entendait des rires étouffés et grincements d'un métier à tisser dans la chambre voisine. Il ne fallait pas importuner plus longtemps la maisonnée. Johan et Marc prirent congé.
Au moment de partir, ils remarquèrent que l'enfant s’était mis à boire du lait puisé dans une jarre.
Que signifiait cette quantité de lait ? Eh, pardi Marc eut juste le temps avant de sortir d'apercevoir, sur le sol, une boîte de lait en poudre, semblable à celles que les infirmières distribuaient !
- T'as vu ce lait ? dit Marc à voix basse, quelques pas plus loin.
- Oui, dit Johan, et alors ?
- C'est peut-être, dit-il, la clé de l'énigme de Bertha. Les adultes doivent boire le lait des nourrissons.
VITO (Pseudonyme de Guy DEJARDIN)
Frères kabyles
L’Amitié par le livre
1970
Extrait Pages 92 à 95
08:30 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook