12/05/2010
Kabylie côté femmes (Germaine LAOUST-CHANTRÉAUX) 1
LES TATOUAGES (1)
La faveur dont jouit le tatouage en Kabylie semble assez diverse. Dans une zone relativement peu étendue, il est des centres où on ne le pratique pas; d'autres, au contraire, où il paraît très en honneur : Aït Hichem est de ceux-là. Actuellement toutefois, cet engouement tend à disparaître et beaucoup de jeunes filles ne se font pas tatouer. Il ne faut pas croire que l'on invoque alors l'interdiction islamique ou la croyance courante suivant laquelle les tatouages seraient enlevés en enfer avec des pinces rougies au feu (les tileqqwadin n-erlehennama ou «Pinces de la Géhenne») ; il suffit, pour ne plus redouter ce châtiment, de recouvrir les tatouages au henné après la mort.
Toutes les femmes ou presque portent donc de nombreux tatouages sur le front, les tempes, le nez, le menton, le cou, la poitrine (pl., les doigts, le dessus de la main, l'avant-bras (pl. XXX), les épaules, le dos, le mollet, la cheville, le tendon d'Achille... (pl. XXIX); mais elles n'en ont jamais sur le ventre.
Certains sont faits par pure coquetterie, d'autres ont surtout une valeur prophylactique; ceux du cou préservent du goitre, assez répandu; ceux des chevilles, du tendon d'Achille et des épaules préservent de la stérilité (ils sont alors exécutés par les Bu-Sa'diyat comme on le verra plus loin); ceux des poignets protègent des foulures; au-dessus de l'arcade sourcilière, ils soulagent des maux d'yeux.
Par contre il en est d'autres, très simples (petites croix ou points sur les tempes, les joues ou le nez), qui semblent être une marque tribale, bien que leur sens soit perdu; ils ne sont observés à Aït Hichem que sur des femmes originaires de villages voisins où ces signes sont plus répandus et où on les remarque aussi chez les hommes.
Les fillettes sont tatouées, entre douze et quatorze ans, par des tatoueuses professionnelles, originaires de tribus voisines : Aït Ghobri et Aït Itsourar, qui passent dans les villages en été. Elles n'emploient pas toutes les mêmes procédés, aussi, à Aït Hichem même, relève-t-on deux sortes de tatouages : ceux faits par incisions, à l'aide d'un scalpel, suivant la technique employée chez les Aït Ghobri, et ceux faits par piqûres, à l'aide d'une épine de cactus, tels qu'on les pratique chez les Aït Itsourar.
Voici comment une femme procède …
Kabylie côté femmes
la vie féminine à Aït Hichem, 1937-1939
Édisud ; 1990
Pages 63 à 65
Vêtements et parures
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09/05/2010
Les femmes au pressoir (Gustave GUILLAUMET)
…
Mais je suis étranger, et l’attrait du tableau qui s’offre à mes yeux est irrésistible. Quelle meilleure occasion, d’ailleurs, puis-je avoir d’observer les femmes de Taourirt ? Elles sont là en nombre, gaiement éparpillées dans un flot de lumière blonde, à travers les bassins destinés au lavage des olives qui, sorties du moulin, contiennent encore de l’huile qu’il ne faut pas laisser perdre.
Les bassins, établis en amphithéâtre sur une pente rapide, ne sont que des trous peu profonds, de la dimension d’une baignoire et creusés dans le roc. On les prendrait de loin pour des tombes, avec leur entourage de pierres plates, biscornues et placées debout. La source les alimente par ses nombreux ruisseaux, séparés ainsi que les tresses d’une longue chevelure bleue roulant des perles..Ils ondulent d’une cuvette dans l’autre, au moyen de rigoles que les travailleuses maçonnent elles-mêmes avec les mains quand elles veulent détourner le cours de l’eau après en avoir empli le bassin. Elles y ont d’abord jeté les olives, puis elles les foulent de leur talon nu, parfois deux ensemble, troussées jusqu’aux cuisses, mouillées jusqu’aux jarrets, pataugeant à plaisir dans le liquide écumeux qui les éclabousse de toutes parts. Tantôt elles remuent violemment le fond du bassin avec leur bâton, tantôt elles en retirent les baies écrasées. Par l’effet de sa légèreté, l’huile surnage bientôt. Elle flotte rougeâtre à la surface ; c’est le moment de l’extraire. Avec un geste plein de grâce, la femme kabyle incline alors l’orifice de sa cruche sur une rigole disposée de manière à ne laisser couler que la liqueur onctueuse, ou bien encore, assemblant les mains en forme de coupe, elle la recueille et la transvase tout simplement.
Les rebords en pierres que l’huile, à la longue, a rendus tout noirs, forme, par endroits, un fond d’ébène sur lequel s’avivent le foulard soyeux des coiffures et les ceintures rouges. Et de temps en temps les rires féminins mêlent leur note claire au bruissement des eaux qui sortent troubles de ce lavoir étrange pour retomber en nappe sur une longue roche, coupée comme un mur, lisse comme un marbre et tachée de bavures graisseuses.
Il y a là, à côté de femmes vieilles ou flétries de bonne heure, des créatures robustes et grandes qui soutiennent la réputation de beauté des montagnardes kabyles. Celles-ci, surprises dans le négligé d’un travail assez malpropre, blesseraient peut-être un goût délicat, mais l’observateur ne peut s’empêcher de noter en elles des formes superbes, de jolis visages, de fraîches carnations, et des pieds que l’art grec n’eût pas répudiés.
Les travailleuses, leur tâche faite, glissent lestes et enjouées entre les pierres, escaladent les roches et se rassemblent pour le départ. La cruche pleine sur l’épaule, elles regrimpent, les unes après les autres, le sentier qui monte au village. Quand s’éloignent les attardées, le soleil met une frange d’or à leurs tuniques. Un brouillard froid s’élève du vallon. Seul auprès du lavoir silencieux, je regarde baisser le jour sur les maisons de Taourirt, assombries dans les rougeurs du soir. L’atmosphère embrumée qui estompe les silhouettes, les tons de l’automne qui jaunit déjà les vergers, contribuent à donner au village kabyle une physionomie presque française. Songeant à ces montagnards dont les institutions sont établies sur nos principes d’égalité, à ces agriculteurs laborieux, économes, attachés au sol, aimant le foyer, qui ont su vaincre les difficultés d’un pays ingrat, il me semble alors que ces anciens Berbères, après tant de siècles d’oppression, seraient peut-être dignes d’être aujourd’hui nos frères.
Tableaux algériens
La Nouvelle Revue ; Paris ;
1879-1882
Extrait du chapitre :
TAOURIRT-EL-MOKRANE
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04/05/2010
Pauvreté en Kabylie (Gustave GUILLAUMET)
Elle ( une potière de Taourirt ) reste avec l’aïeule en cheveux gris, qui frotte, à l’aide d’un silex arrondi, quelque potiche crue pour en aplanir les rugosités, et avec un nourrisson dormant dans les plis de son haïk. L’enfant ne laisse à l’air que sa petite bouche ouverte. Si peu qu’on en voie, il n’est pas douteux qu’il soit un garçon, la plaque en argent ouvragé de turquoises que la mère porte au front apprend à tous qu’elle a mis au monde un futur défenseur de la patrie.
En peignant son vase, elle fredonne un air mélancolique dans le goût des berceuses bretonnes. La vieille, cessant le travail, s’est levée et, courbée sur un creux du terrain où trois cailloux noircis font office de chenets, elle allume le feu du souper. Installant ensuite un chaudron plein d’eau, elle y plonge, à mesure qu’elle les coupe, des morceaux de courge et de piments, puis elle regagne sa place, perdue sous la fumée qui lèche les murs, s’amasse sous le toit et cherche la porte, n’ayant d’autre issue pour s’échapper.
Pas un lit, pas un escabeau, dans le pauvre réduit. Tous ces gens couchent par terre sur de mauvaises couvertures et respirent jour et nuit les fumiers de l’étable en contrebas où piétinent les bestiaux. Ceux-ci, séparés du logis par un cloisonnage en pierre, ont la faculté d’avancer familièrement leur tête à travers des soupiraux ménagés au ras du sol ; ils se rappellent ainsi d’eux-mêmes aux soins des ménagères, qui passent les aliments dans leur mangeoire par ces ouvertures.
À défaut de meubles, de froids divans en maçonnerie faisant corps avec la muraille sont occupés par les potiches, les unes entièrement peinturées, d’autres couvertes d’un premier enduit ; et de grandes jarres à ventre énorme montent au plafond, greniers aux provisions de farine, d’olives, de figues sèches, qui ne sont pas pleins tous les jours.
Les plus pauvres de nos paysans peuvent passer pour riches en comparaison de ces Kabyles. Mais la djemmâ prend soin des malheureux. Elle recueille des cotisations, des vivres, qu’elle leur partage de temps en temps. Je me heurte, chemin faisant, contre un boeuf égorgé. Deux hommes en découpent la chair et la distribuent à toute la marmaille du pays, filles et garçons de tous âges, touchante façon d’assister la mère par les mains de l’enfant. Il est difficile d’imaginer assemblage plus varié de haillons, jouant là toutes les gammes de la saleté pittoresque. Chacun attend une portion de viande fraîche, mais c’est à qui devancera son tour pour l’obtenir. Et les petits pieds nus se pressent dans un ruisseau de sang, tout autour de l’animal dont ils culbutent la tête détachée du corps et les entrailles encore tièdes, qui encombrent l’étroit sentier. Malgré le côté barbare de cette boucherie, comment ne pas s’égayer de l’imperturbable sérieux des marmots à peine sevrés, lorsqu’ils retournent chez les mamans en tenant devant eux, avec une extrême précaution, quelque bribe sanglante enfilée au bout d’un bâton.
Le lieu où se passe cette scène curieuse domine un massif de rochers sauvages à demi couvert par de sombres bouquets de verdure et dont les blocs s’échelonnent jusqu’au fond d’un ravin où noyers, frênes, figuiers, amandiers, oliviers, enlacés de vignes grimpantes, mêlent délicieusement leurs ombrages. Le bruit d’une source ne tarde pas à charmer l’oreille. Je m’enfonce dans ce paisible endroit, mais quel n’est pas mon étonnement quand, au lieu de la solitude que je croyais y rencontrer, je me trouve en face d’un spectacle fort animé qui m’arrête brusquement. Avancerai-je davantage ? La loi du pays me le défend presque. Une amende frappe le Kabyle qui paraît au lavoir des femmes.
Mais je suis étranger, …
Tableaux algériens
Plon ; Paris ; 1885
Extrait du chapitre :
TAOURIRT-EL-MOKRANE
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