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31/07/2009

Mon école de Beauprêtre (Émile CHAMPAS) 6

 

 

Dans mon douar de Beauprêtre, j'étais complètement isolé et démuni de toute possibilité de ravitaillement puisqu'il n'y avait aucun commerce. Dra-el-Mizan était donc ma destination obligée et la route qui y menait (4 km de virages en descente) était pour moi une sorte de cordon ombilical. La prudence était de mise, certes, en raison de la configuration du terrain, mais aussi parce que les rebelles n'étaient pas loin et qu'ils se manifestaient par diverses actions : assassinat du garde-champêtre en plein marché, embuscades contre des convois militaires aux habitudes un peu trop régulières, attaques contre l'autocar venant d'Alger, avec exécution des rares européens qui avaient osé l'emprunter. Certes, de telles exactions ne se produisaient pas tous les jours, mais cela suffisait pour entretenir un climat permanent d'insécurité.

 

Un jour, dans mon école, un parent d'élève m'aborda discrètement et me tint ces propos : «Tu as une moto avec laquelle tu te rends à Dra-el-Mizan ? son numéro est bien 790 JG 9A ? Je veux te rassurer. Tous les chefs F.L.N. de la région ont ce numéro sur eux. Tant que tu circules pour ton ravitaillement, ton travail, tes sorties, tu ne risqueras rien. Mais, fais attention à être rentré avant le couvre-feu, sinon tu auras affaire avec l'armée française et là, ils ne pourront rien pour toi».

 

Ces paroles me firent réfléchir. On avait donc eu le temps de m'observer. Il est vrai que, dès mes premiers jours à Beauprêtre, je me suis efforcé de garder la ligne de conduite que je m'étais fixée une fois pour toutes. J'étais venu dans ce pays pour enseigner la langue et la culture françaises à une population vivant dans la pauvreté, dans une Algérie où les différences de niveaux de vie étaient criantes (encore qu'une certaine partie de la population européenne du bled ne roulait pas sur l'or). La rébellion durait depuis un an et gagnait du terrain. Je ne souhaitais pas de contacts trop approfondis sur ce sujet avec les parents de mes élèves (qui ne les cherchaient d'ailleurs pas). Certes, je rencontrais des Européens à Dra-el-Mizan et les événements venaient souvent dans la conversation. Mes interlocuteurs pieds noirs (sauf les ultras) comprenaient bien mon rôle et l'admettaient : instruire, éduquer une population déshéritée pour qu'elle puisse trouver sa place dans une société algérienne nouvelle. De mon côté, je ne pouvais que déplorer les assassinats d'Européens isolés dans le bled. Pour autant, je ne pouvais pas aller jusqu'à montrer ma sympathie pour les extrémistes de quelque bord que ce soit. C'est à toutes ces conditions, me semblait-il, qu'un instituteur pouvait continuer sa mission. Mais ce n'était pas toujours facile.

 

Et puis, il y avait l'armée. Depuis le rappel de la classe 1952, les militaires avaient réquisitionné un logement de l'école pour y installer leurs bureaux, alors que la troupe logeait sous la tente aux alentours. Cette unité était commandée par un capitaine avec lequel mes rapports étaient corrects, mais rares. (son épouse m'avait même remis un énorme paquet de bonbons destinés à mes élèves).

 

Par ailleurs, je me préparais dans les mois qui allaient venir à quitter la vie civile pour revêtir à mon tour l'uniforme, ce qui m'amenait à m'intéresser d'un œil particulier à la vie de ces hommes, qui serait la mienne dans un proche avenir et pendant 28 mois. Certes, il y avait toujours l'espoir de voir cette guerre s'arrêter. Mais pour moi, qui vivais dans ce pays depuis deux ans et qui avais eu le temps d'observer les événements, il n'y avait guère d'illusions à se faire : ce serait encore long.

 

Je ne connaissais pas les idées du capitaine sur la question algérienne. Par la suite, au cours de mon service militaire, j'ai rencontré des officiers de toutes opinions : les uns étaient convaincus que cette guerre ne pourrait se terminer qu'au prix de réformes profondes impliquant un changement radical dans les rapports européens / musulmans, d'autres, partisans farouches de l'Algérie française, prônaient des méthodes efficaces pour arracher la population à l'emprise du F.L.N., s'inspirant en cela des idées ayant eu cours dans la guerre révolutionnaire menée par leurs ex-adversaires en Indochine. Je ne savais pas si ce capitaine était de ceux-là. S'il avait su que ce parent d'élève m'avait parlé en particulier et s'il avait souhaité en savoir plus, il n'aurait pas été difficile de lui répondre que l'entretien portait sur les résultats scolaires de l'enfant. La chose aurait été différente si cette rencontre s'était renouvelée.

 

Si ce capitaine avait été un adepte de l'action psychologique, rien ne l'aurait empêché de vouloir en savoir plus et de questionner ce parent – naturellement hors de ma présence – et selon une procédure dont on sait qu'elle peut revêtir de multiples formes.

 

Et que serais-je devenu dans cette affaire ? Et que se serait-il passé si les chefs F.L.N. avaient appris cette intervention du capitaine ? Peut-on penser que j'aurais pu tranquillement continuer d'exercer mon métier comme je l'avais fait jusqu'alors, dans cette région où la rébellion ne cessait de gagner du terrain chaque jour ?

 

Beaucoup de ces réflexions ne me sont venues qu'à posteriori, mais elles m'ont confirmé qu'à l'époque mon comportement d'enseignant était le seul possible, celui qu'on nous avait conseillé et qui nous commandait d'être exclusivement au service d'une population qui nous faisait confiance.

  

 

 

Émile CHAMPAS

Extrait de ″J’étais instituteur en Algérie″ : témoignage

 

dans ″Notre guerre et notre vécu en Algérie″

de Jean-Yves JAFFRÈS

Livre 3 - 2005

 

 

 

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Maître et élèves (Photo du livre de Jean-Yves JAFFRES)

30/07/2009

Mon école de Beauprêtre (Émile CHAMPAS) 5

 

 

L'école était dotée d'un potager placé sous la responsabilité des élèves les plus âgés. Il était géré collectivement sous le contrôle du directeur. Chacun d'eux avait sa part des légumes récoltés, répartis équitablement. Certes, il n'emportait qu'une salade, quelques pommes de terre, une poignée de haricots. Ce n'était pas le plus important. Nous essayions d'apprendre aux enfants le sens du travail en commun, de la solidarité et du partage.

 

Les parents étaient de condition très modeste. Un certain nombre de foyers n'avaient pas d'électricité (précisons que la ferme familiale en Ille-et-Vilaine ne l'a eue qu'en 1950). C'étaient pour la plupart des paysans pauvres, cultivant quelques parcelles de terre ingrate, élevant des chèvres et des moutons, récoltant les olives. Quelques lopins un peu moins arides permettaient de semer un peu de céréales. Il n'y avait bien sûr pas de bovins par manque d'herbe et de nourriture suffisante. Souvent, un membre de la famille travaillait en France et, grâce aux sommes qu'il faisait parvenir aux siens, il leur permettait de survivre dans des conditions moins pénibles.

 

C'est sans doute pour cela que nos élèves faisaient preuve d'une assiduité exemplaire. Il fallait vraiment un empêchement majeur pour qu'ils ne se rendent pas à l'école. Je les voyais arriver par tous les temps, habillés sommairement et souvent mal chaussés. Un matin, l'un d'eux, souffrant, s'est quand même présenté. Ce jour-là, il n'est pas venu à pied, mais sur le dos de son âne. Ils venaient tous avec une musette garnie d'un morceau de galette et de quelques figues. Il n'y avait pas de cantine. Mais ils savaient que leur avenir dépendrait de l'instruction reçue pendant leurs premières années. Ils s'estimaient même chanceux d'avoir une école à leur portée, alors que tant d'autres, dans les villages reculés de Kabylie, n'avaient pas cette planche de salut.

 

En cette période troublée, l'Inspection académique souhaitait s'informer sur la fréquentation dans les écoles. À la fin de chaque journée, j'étais tenu de communiquer le pourcentage des présents par rapport aux inscrits. Ce chiffre s'est toujours tenu aux environ de 95 %. J'ai rarement retrouvé ce niveau – avec une telle constance – dans les écoles métropolitaines où j'ai exercé par la suite.

 

Dans certaines régions, les responsables du F.L.N. n'appréciaient guère cette réussite de l'Education Nationale française qui leur prouvait que leurs revendications pouvaient aboutir sans pour autant couper les ponts, avec la France. A l'automne 1955, plusieurs écoles furent incendiées en Kabylie. Des collègues, contraints de quitter leurs postes, sont passés me voir avec leurs bagages avant de regagner Alger ou la France. Je me suis demandé si je n'allais pas subir le même sort. Mais non. J'ai pu poursuivre ma tâche. Il est certain que l'autorité des chefs du F.L.N., en ce domaine comme en d'autres, variait selon les secteurs.

Outre mes fonctions enseignantes, j'avais la mission de soigner les yeux des élèves. Par manque d'hygiène, ils risquaient d'être atteints du trachome, maladie qui pouvait conduire à la cécité. Chaque soir, avant de regagner son domicile, chaque élève passait devant moi pour recevoir une goutte de collyre dans chaque oeil.

 

La ville de Dra-el-Mizan, siège de la commune mixte, était plutôt un gros bourg. Pour avoir une idée de son périmètre bâti, il faut se représenter une agglomération métropolitaine actuelle de 1200 / 1 500 habitants. Mais à cette époque, dans un pays comme la Kabylie où le taux de natalité était très élevé, il faut compter une population 4 à 5 fois plus importante si l'on englobe tous les douars environnants – dont le mien – répartis sur une surface beaucoup plus étendue que celle d'une commune rurale de chez nous.

Cette agglomération comportait un certain nombre de commerces qui feraient aujourd'hui le bonheur de beaucoup de nos communes rurales dépeuplées : une grosse épicerie kabyle, d'autres plus modestes, un bazar, plusieurs marchands de fruits et légumes, en plus du marché hebdomadaire, un médecin, un pharmacien, une poste, tenue par un ex-parisien bon teint, où les mouvements d'argent étaient importants grâce aux sommes envoyées par les travailleurs immigrés en France, un restaurant européen, quelques gargotes arabes, deux cafés, un église, une mosquée, une caserne.

 

Cette ville était bien connue à l'échelon algérien. On la citait déjà au moment de la conquête de la Kabylie, entre 1840 et 1870, qui donna lieu à de farouches batailles. Les Kabyles, pendant des siècles, ont toujours été des guerriers intrépides s'opposant à l'envahissement de leurs terres par les Romains, le Arabes, les Turcs, les Français.

 

Pas étonnant que cette région ait été le berceau de l'insurrection algérienne en 1954, à travers la personnalité d'un de ses chefs, originaire de Dra-el-Mizan, justement, Krim Belkacem, qui avait pris le maquis dès 1947. Pendant 7 ans, il a parcouru les douars pour organiser la résistance, si bien qu'à la Toussaint rouge, ses structures étaient en place, même si elles manquaient de moyens. On se souvient que c'est ce modeste fils de paysans qui, le 18 mars 1962 a signé les accords d'Evian avec le gouvernement du général de GAULLE.

 

Émile CHAMPAS

Extrait de ″J’étais instituteur en Algérie″ : témoignage

 

dans ″Notre guerre et notre vécu en Algérie″

de Jean-Yves JAFFRÈS

Livre 3 - 2005

 

 

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Eglise de Dra-el-Mizan

27/07/2009

Pierrot mon ami Raymond Queneau

Pierrot comprit qu’il ne pourrait passer la nuit là (à Saint-Flers-sur-Caillavet). Mais sa fatigue était grande, il imagina de se reposer quelque temps sur un des bancs du square qui entourait l’hôtel de ville. Il referma la fenêtre et descendit. Pour sortir, il dut aller alerter un veilleur de nuit, qui le regarda bien méchamment.  Dehors, il constata que la température était douce et qu’il ne serait pas tellement gênant de dormir en plein air. Il essaya de s’orienter ; mais un poteau indicateur lui indiquant la direction de la gare, il suivit ce conseil, abandonnant au moins provisoirement son intention première ; il pensait que, par là, il trouverait quelque café ou buffet ouvert où il pourrait boire un liquide quelconque qui lui désinfecterait les narines ; il se dit encore que, si Petit-Pouce évitait toute rencontre avec lui, peut-être allait-il prendre un train de nuit ; auquel cas, il aurait des chances, lui Pierrot, de le rejoindre. Ce n’était pas qu’il s’intéressât particulièrement aux faits et gestes de ce personnage ; mais il pourrait toujours lui parler, pour voir, de cette patronne d’hôtel qui avait travaillé à l’Uni-Park, et qui était peut-être la cause de la présence de Petit-Pouce ici.

Mais, devant la gare, tout était aussi noir et chargé de silence que dans le reste de la ville ; Pierrot traversa la place ; un employé lui dit que l’express pour Paris était passé depuis vingt minutes et qu’il n’y avait plus de départ de train avant l’aube. Dans les salles d’attente, ne se trouvait qu’un groupe de Kabyles, et pas de Petit-Pouce. Le cheminot indiqua la route qu’il fallait prendre pour retrouver l’hôtel de ville.

Ce silence, cette nuit, ces rues étroites, tout disposait Pierrot à ne penser à rien de précis, par exemple à de vagues supputations sur l’heure qu’il finirait bien par être dans quelque temps. Il regardait à droite, à gauche, comme pour accrocher quelque part ses petites curiosités, mais ne trouvait rien tout au plus les enseignes, et qui ne valaient pas les billes de l’avenue de Chaillot. Il songea un instant, souvenir de la vie militaire, à visiter le bobinard de cette sous-préfecture, mais il ne rencontrait personne pour le renseigner.  Finalement il se perdit. Il traversait maintenant une petite banlieue ouvrière, avec des manufactures ici et là.  L’une d’elles était éclairée, il y ronronnait des machines.  Plus loin, Pierrot atteignit une route assez large, avec un double liséré d’arbres, peut-être nationale ? peut-être départementale ? Il marche encore quelques instants.

Il entendit tout près de lui un grand cri, un cri de femme, un cri de peur.

Il envisagea tout d’abord, comme première possibilité immédiatement réalisable, de cavaler à toute pompe dans une direction opposée. Mais ayant réfléchi à l’origine féminine de cette clameur, il reprit courage et regarda. Il y avait des tas d’étoiles dans le ciel, mais l’ensemble ne donnait pas beaucoup de lumière. Pierrot s’approcha du fossé. La femme de nouveau hurla de terreur. Il fit de nouveau quelques pas ; et l’aperçut. Mieux même, il distingua un vélo non loin de là.  « Faut pas avoir peur », ce fut ce qu’il commença par dire. On ne répondit pas. Il répéta sa phrase. Convaincue sans doute par la douceur de sa voix, la femme sortit du fossé.

Elle s’avança en disant :

·         C’est idiot, mais j’ai eu une de ces trouilles. Ça fait deux heures que je suis là, à mourir de peur.  Pierrot entendait la voix d’Yvonne. Elle était maintenant tout près de lui. Un rayon, venu, fatigué par une course millénaire, d’une étoile de première grandeur, éclaira péniblement le bout du nez de cette jeune personne. C’était bien elle : Yvonne.

·         Ne craignez plus rien, mademoiselle Pradonet, dit-il solennellement.

·         Ça alors.., dit-elle émerveillée.

 

Elle l’examina.

·         Il me semble que je vous reconnais, dit-elle sans conviction.

·         J’ai travaillé à l’Uni-Park, dit-il. On s’est même vu plusieurs fois, vous et moi.

·         Alors, on n’a pas besoin de faire connaissance, dit Yvonne. Mais sortez-moi de là.

·         C’est à vous, la bécane ?

·         Oui. Mais je suis à plat. Et puis je suis perdue.

·         Moi aussi, dit Pierrot.

·         Ça ne va pas mieux, dit Yvonne. Décidément, c’est la poisse. Alors, comme ça, vous êtes perdu ?

·         Oui.

 

 

QUENEAU-Raymond_Pierrot-mon-ami.jpgRaymond QUENEAU

Pierrot mon ami extrait

 

Éditions Folio-Gallimard

Première édition : 1945.

 

21/07/2009

Le chant dérobé de nos enfants (NOUFEL)


Nos enfants ne chantent plus
Leurs gorges semblent barreaudées
Telles nos portes et fenêtres

Dans les villages
Dans les quartiers
Salis, blêmis
Miséreux ou tchitchi
Vous n’entendrez
Que silence, brouhaha ou cris

Dans les cours tristes
Des écoles doublement tristes
Que jeux offensifs et dangereux

Dans les maisons
Querelles et rixes éternelles
Télé, Playstation, numérique
Quotidien désertique

Nos enfants ne chantent plus
Leurs gorges semblent barreaudées
Telles nos portes et fenêtres

Où sont : Romarin dans le jardin ?
Memm-is u Mazigh?
Mouloud ya mouloud?
Nos grands-mères ne racontent plus
Andat Teryel ?
Winha Djazya ?
Où est Maître Corbeau ?

Nos mères préfèrent sortir
Nous fuir
Prendre un magazine
Fumer une cigarette
Faire des courses
Et conduire des voiturettes

Nos enfants ne lisent plus
Dégoût et psyché en misère
Qui donc pourra stimuler
Le rêve, le beau, la fantaisie
L’amour et l’imaginaire
À part le livre, les poésies
Et les contes populaires ?

Nos enfants n’aiment plus
Ils cultivent la haine et la peur
Adieu générosité et esprit compétiteur
Bienvenus suicides, terrorismes
Délinquance et torpeur !

Nos enfants ne savent plus chanter
Leurs gorges ne semblent désormais
Prédisposées
Qu’aux insultes et aux pleurs
Qu’aux lamentations et aux leurres

Ainsi, nos enfants ne savent plus chanter
Leurs gorges semblent barreaudées
Telles nos portes et fenêtres !



NOUFEL_Algerie_Banquet-des-Nonchalances.jpgNoufel

 

Algérie : Banquet des Nonchalances

 

Éditions L’Harmattan

 

2009

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Autre livre de Noufel : ICI

 

 

 

 

20/07/2009

Vava inouva (Extrait2) de Mohamed MANKOUR

...

 

« … Sire Lion – limier parmi les limiers – éventa le stratagème. Tapi dans les fourrés, il observa des jours durant et médita longuement sur ce qui se tramait en son fief. Tout naturellement, le fauve entreprit avec délectation d’engloutir les deux importuns...

 

Un matin, il se présenta devant l’abri de rondins, frappa la petite porte à l’aide d’une pierre et parla d’une voix rauque :

 

Ouvre-moi la porte vava inouva, mon père chéri

Les ogres et les fauves se sont joué de toi

Mes cris et mes sanglots percent les cœurs de pierre

 

Le captif n’était pas crédule et devina la nature de l’assaillant d’autant qu’une odeur âcre venait irriter son odorat aiguisé.

 

        Va t’en misérable animal, regagne ta tanière !

  Sache, impudente créature, que l’on ne peut défier Lion sans s’en repentir ! Sous peu, toi et ta fille me servirez de repas !

 

Lion maugréa et tourna les talons pour s’engouffrer dans l’épaisseur des fourrés. Il décida de requérir les conseils avisés de ce vieil ermite qui jadis avait fui la folie des Hommes et qui vivait en ascète dans cette grotte ; un abri concédé par les malfaisants de la forêt, trop heureux de jouir de ses avis éclairés.

 

Les fauves perfides l’auraient volontiers dévoré, mais l’abstinence à laquelle le vieil homme s’était astreint ne lui avait légué que la peau sur les os : « autant manger un tambour ! » avaient-ils conclu et le chacal d’ajouter, avec finesse, qu’escompter se régaler d’une viande aussi coriace c’eût été comme danser pour un aveugle !

 

Lion s’adressa au sage et exposa révérencieusement les raisons pour lesquelles il s’était senti outragé ; pensez donc, un vulgaire Homme avait osé violer son territoire ! … »

MANKOUR_vava.jpg

 

 

Vava inouva

 

L’extravagante histoire de Pois chiche

Contes kabyles

 

Textes et illustrations de Mohamed MANKOUR

ISBN : 978-2-296-08094-2