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21/05/2010

Les voleurs de rêves (Bachir HADJADJ) 3

 

 

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Les deux mondes.

 

Mais plus nous avancions vers la fin de notre adolescence, plus nous prenions conscience qu’il y avait « eux » et qu’il y avait « nous ». Et plus les contacts se faisaient difficiles. Lorsque nous eûmes pris conscience les uns et les autres que nous appartenions à deux mondes différents, mais inégaux, nos rapports changèrent de nature. Nous fréquentions les mêmes classes du lycée, nous vivions à coté les uns des autres, nous étions parfois camarades, rarement plus. Les timides rapprochements intercommunautaires étaient vécus comme des désertions, et condamnés comme telles par la vigilante censure des deux mondes.

 

Il y a bien eu de très solides amitiés qui ont résisté à l’usure du temps et à la violence de la tempête, mais elles étaient l’exception Elles n’ont pu exister et durer que parce que et l’un et l’autre, chacun de son côté, a su imposer cette amitié à son propre clan, non sans difficulté ou sans drame, souvent au prix de la rupture avec ceux des siens qui refusaient cette amitié. Il y eut bien, également, quelques Roméo et Juliette qui bravèrent non seulement des familles et des clans, mais les société elles-mêmes. Ils ont été rejetés avec une extrême violence, j’en connais des deux bords : leurs amours n’ont pu s’épanouir que loin de la colonie.

 

 

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1958. Soldat du contingent en Algérie.

 

Un jour j’ai vu un véhicule 4X4 s’avancer et stopper au milieu des ruines. Quatre militaires en sont descendus, encadrant un homme en civil, grand et mince, tête nue, les mains menottées derrière le dos. L’homme hésitait à avancer, il jetait autour de lui des regards apeurés, cherchant peut-être des témoins. Une sentinelle armée l’a poussé doucement vers l’entrée de la bicoque. Il a regardé. Il a regardé encore furtivement derrière lui, puis il a redressé la tête, a embrassé du regard la lumière du soleil, l’azur de la mer avant de disparaître dans le local.

 

TIGZIRT_cp-Lagarde.jpg

 

L’officier de renseignement (le DOP) fermait la marche. C’était un jeune lieutenant, moins de la trentaine, d’allure plutôt athlétique. Comme les autres occupants du 4X4 qui l’accompagnaient, il était bien sanglé dans son treillis et portait le large béret des chasseurs alpins. Un dossier sous le bras, il a ajusté son ceinturon, et est entré le dernier en refermant la porte derrière lui. Le silence était total dans les ruines de Tigzirt, n’était le bruit du ressac sur les flancs du quai.

 

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Bachir HADJADJ

Les voleurs de rêves

 

Éditions Albin Michel

2007

 

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