Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/02/2011

Mémoires d'un enfant de la guerre (Abdenour SI HADJ MOHAND)

 

 

Extrait :

 

" Et ces soldats français, dont la plupart avaient moins de 30 ans, peut-être à peine 20 ans, bien qu’ils soient proches de nous en tant qu’êtres humains pensants, n’avaient-ils pas d’autre alternative que celle de nous réduire en poussière ? Ils étaient en fait conditionnés pour cette mission civilisatrice. Il ne faut pas leur en vouloir, car moi-même, étant jeune, et de surcroît orphelin et fils de fellagha, je n’ai pas été un saint. Pourtant je me souviens que mon seul péché a été de dévaliser l’école primaire de ses plus jolis livres pour en arracher les images : c’est tout. Je n’ai pas tué et je préfèrerais mourir plutôt que de mettre fin à la vie d’un être humain. Ces jeunes Français appelés sont pour la plupart comme moi, j’en sûr. Pour preuve, des soldats dont je n’ai retenu que le prénom ont pris notre parti. Guy Fumey, Marcel, Robert, Mme Bouchet, femme d’un non moins lieutenant de SAS, étaient des soldats français FSE. Ils nous ont protégés et protégé nos mères et nos sœurs. Cette compassion des appelés français, enseignants, m’a évité de faire la confusion plus tard entre les criminels, les nazis et les français « appelés » et m’a permis de faire la part des choses."

 

SI HADJ MOHAND Abdenour_Mémoires d'un enfant de la guerre_couv4_2011.jpg

 

 

Table des matières

 

Chapitre 1 Iferhounène 1956 P. 9 - 16

Chapitre 2 Les premières victimes civiles P. 17 - 20

Chapitre 3 Un jour marché sanglant P. 21 - 39

Chapitre 4 Affrontements sanglants entre l’armée coloniale et les fellaghas P. 41 - 50

Chapitre 5 Femmes, enfants et Chibanis expulsés de leur village P. 51 - 54

Chapitre 6 Guérilla, ratissages et bombardements P. 55 - 60

Chapitre 7 Kabylie. Opération « Jumelles » P. 61 - 62

Chapitre 8 Extermination des adultes P. 83 - 97

Chapitre 9 Fils de fellagha et futurs fellaghas P. 99 – 105

Chapitre 10 Poésie populaire épique P. 107 - 128

Chapitre 11 La fausse corvée de bois P. 133 - 131

Chapitre 12 Les harkis les imnouchens s’acharnent contre un fils de fellagha P.133-143

Chapitre13 Le capitaine Wolf convoque les enfants de fellaghas P. 145- 154

Chapitre 14 L’indépendance P. 155-166

Chapitre 15 Les excuses de la France P. 167-169

Chapitre 16 Des effets négatifs du colonialisme français P. 171-177

Chapitre 17 Conséquences postindépendance de la colonisation française P.197-183

Chapitre 18 Témoignages sincères de Français P.185-189

Chapitre 19 Photos inédites P. 191 et suivantes.

 

 

SI HADJ MOHAND Abdenour_Mémoires d'un enfant de la guerre_2011.jpgAbdenour Si HADJ MOHAND

" Mémoires d'un enfant de la guerre "

 

Editions L’Harmattan

Paris 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Site de l'éditeur

 

09/02/2011

La nuit de Kahina (François LEOTARD)

 

Les images qui me restent de la vie sont des photos. Du papier sur quoi la lumière s'est posée. L'ombre aussi, sur celle-ci que j'ai devant moi. Elle laisse apparaître un peu plus claire la forme d'un visage, des yeux plissés, des cheveux mouillés. Ils collent un peu sur le front. Comme au sortir de la mer.

Le vrai personnage de cette photo c'est la pluie. On ne la voit pas. Sans doute est-elle déjà passée. Allée un peu plus loin. Sur la peau de la jeune femme elle a laissé quelques gouttes. Kahina a dû courir. S'exposer à une averse. Jouer comme une petite fille avec les caprices du temps. Mais non. Elle a été surprise. Je ne me souviens plus.

À l'époque je savais. La photo ce n'est qu'un imparfait. Cela veut dire que si l'on ne met pas une date, au verso, on ne sait plus à quel moment du temps elle a ainsi figé, pris au piège ce visage. Elle n'est pas parfaitement réelle. Elle ne correspond qu'à une période dont la durée s'est perdue. Comme la vie elle-même.

Effectivement, derrière la photo, on trouve une date. 1960. Elle avait donc dix-neuf ans. Bouche nue. Une brune avec des lèvres.

C'était d'abord ce qu'on voyait : la beauté des lèvres.

Je la connaissais depuis trois ans. Sans qu'elle m'ait vraiment accepté. Je l'avais rencontrée en 1957 en Algérie. Lorsqu'elle marchait vers moi, il y avait quelque chose qui s'épaississait entre nous, qui la faisait ralentir, hésiter. Quelque chose qui était du désespoir. Là, je vous parle de cet automne 1960. J'ai reconstitué cette période qui s'était éloignée de moi. Au moment où la photo a été prise nous étions à Paris. Je l'avais amenée au zoo de Vincennes. A vrai dire, je ne savais plus que lui proposer. La tour Eiffel, elle avait eu peur. Les grandes avenues, elle tremblait. Au Louvre, elle passait rapidement devant tous les corps des statues. Cette pierre immobile, dénudée, ces seins qui s'offraient... Non. Je sais qu'elle pensait à son fils, Krim, qu'elle avait laissé pour quelques jours à Marseille, chez Madame Immer, notre voisine. Je comprenais confusément que le corps pétrifié des statues, la nudité des hommes, leurs sexes présentés au défilé des visiteurs, la gênaient, la faisaient revenir – on pourrait dire, a contrario, comme une ancienne pudeur – vers son minuscule village, un hameau plutôt, dans les montagnes de Kabylie, du côté de Taddart Ibadissen, dans la région de Tizi Ouzou. Les lourds tissus de laine, les burnous avec leurs capuches pointues, les animaux et les humains, tout avait brûlé dans cette nuit qui avait mis fin à son enfance.

 

Sur la photo Kahina boudait. J'avais arrêté le visage dans son mouvement. Juste avant qu'elle ne se détourne. Pour s'échapper, comme elle le faisait toujours. Je connaissais mon métier : prendre au vol la vie qui fuit. Une fraction de seconde. Une ombre parfois.

À cet instant le vent semble caresser la lumière que la main renvoie. Mais on ne peut pas saisir le vent.

Les feuilles, derrière, un peu floues, sont déjà dans l'automne. La chaleur d'une écharpe souligne les lèvres de Kahina, entrouvertes, mouillées, à peine posées sur la laine.

Je voulais donner l'impression du vent. Ce qu'il porte en lui d'absence et de vide. La main de Kahina est si belle qu'elle pourrait se mettre à fléchir comme celle d'une danseuse.

Comme une feuille, justement. On est dans le bois de Vincennes. E vient de pleuvoir.

La jeune femme n'aime pas ce moment. On devine qu'elle pourrait sourire mais elle ne le fait pas, ne le veut pas. Ses cheveux retombent au long des joues mais ce sont ses lèvres que la lumière éclaire.

J'ai oublié de parler de sa peau. De l'arbre aussi. On voit les failles, les fissures, le travail du temps, du froid et de la pluie sur l'écorce. Le visage de Kahina légèrement penché, contre le tronc. Sans doute vient-elle de dire un mot, un début de phrase. Le mot correspond à l'écorce. Il est comme une cicatrice. C'est un mot dont je ne me souviens plus. Et pourtant c'est à moi qu'elle vient de parler. Il y a du silence dans cette photo. Il vibre un peu comme une impatience. Il vient de se passer quelque chose. Une phrase sans doute... Un reproche...

 

 

LEOTARD François_La nuit de Kahina_2010.jpgFrançois LÉOTARD

La nuit de Kahina

 

Éditons Grasset

2010

 

Pages 11 à 14