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26/11/2012

La vie est ainsi faite (Rachid BELKACEMI)

 

Les descendants

 

Nos parents n'étaient que des proies

Pour les gens sans foi.

Nous sommes des cibles préférées

Pour les ennemis de la démocratie.

Nous sommes des natifs de ce pays,

Cette terre où nos ancêtres sont nés.

Vous qui cherchez à nous scinder

Par quelle porte êtes-vous entrés ?

Vous vous imposez comme héritiers

Dans le partage, vous n'êtes pas concernés ;

L'Algérie c'est notre patrie :

On doit la protéger

Tamazight est la langue de nos aïeux :

Des siècles ont témoigné,

Des générations se sont sacrifiées

Pour que ses mots fleurissent

Dans nos bouches longtemps muselées.

Combien de détenus injustement incarcérés,

Dans les geôles, oubliés à jamais ?

 

 

BELKACEMI Rachid_La vie est ainsi faite_couv.jpgRachid BELKACEMI

La vie est ainsi faite

 

Éditions El-Amel

 

20/11/2012

Amirouche, une vie, deux morts (Saïd SADI)

Pages 157 à 159

Si Abdallah eut une longue discussion avec Amirouche au cours de laquelle ils abordèrent plusieurs problèmes. Il était notamment question d’envisager la possibilité de déclencher des opérations militaires concertées entre les deux wilayate du Centre. Les actions menées par des unités qui deviendront les commandos Ali Khodja et activaient dans l’Algérois avaient rapidement capté l’attention d’Amirouche. Il souhaitait les voir conjuguer leurs efforts avec les groupes de choc qu’il avait organisés dans la vallée dela Soummam. Ladécision fut concrétisée lors d’une opération menée en janvier 1959 par les wilayate III et IV dans le massif de Sidi Ali Bounab à l’ouest dela Kabylie. Dansce combat, l’ALN perdit des hommes, mais, ce jour-là, l’armée française subit des pertes plus importantes. Parmi les victimes françaises figurait le fameux capitaine de parachutistes Grazziani. Avant le départ du capitaine Si Abdallah, le colonel Amirouche le questionna aussi sur la gestion politique de la capitale depuis le départ du CCE. Quant à Si Tayeb Djaghlouli, il revint vers l’est avec Amirouche quand il rebroussa chemin.

** * 

Une fois de plus, les agents de liaisons avaient fait la démonstration de leur efficacité. Avant même que n’arrive de Tunis l’ordre écrit de sa nomination, Amirouche avait pu faire parvenir des informations au sud et à l’ouest pour fixer, dès sa première sortie, des rendez-vous à deux officiers étrangers à sa wilaya. On s’en souvient, Amirouche avait confié les liaisons, dès le début de la lutte, aux combattants les plus valides et les plus fiables. En même temps, il avait mis en place un réseau de transmission dont l’efficacité n’avait rien à envier aux systèmes postaux officiels. Des caches régulièrement changées servaient de dépôt de courrier. Un trou dans le tronc d’un arbre rongé par des parasites, la cave d’une maison bombardée, une tuile posée contre un pan de mur : tout abri pouvant protéger un document était repéré par le« facteur » qui procédait au ramassage et à la livraison du courrier à intervalles réguliers, sans nécessairement avoir à connaître ni même à rencontrer l’autre agent. Les soldats de l’ALN purent ainsi écrire, sous certaines conditions, à leurs familles et les instructions circulaient d’un bout à l’autre de la wilaya dans des délais relativement courts. C’est grâce à ce système de communication que les deux officiers ont pu être avertis en un minimum de temps de la date et du lieu où le commandant de la wilaya III pouvait les recevoir. Le retour vers l’est fut particulièrement pénible. D’une part, le rythme et la longueur des étapes avaient éreinté les marcheurs ; d’autre part, si le fait de passer par la forêt de Tala Guilef et le maquis de Kouiret, qui rasaient la crête de la montagne, offrait, du point de vue sécuritaire, un avantage appréciable, il les privait de nourriture car les lieux, évacués, étaient inhabités. « Nous fûmes réduits à disputer quelques grappes de raisins aux chacals », grimace aujourd’hui encore Slimane. Cette compétition fera dire à Hamou :

« Je m’attendais à tout en montant au maquis, mais de là à devoir négocier ma pitance avec les chacals…»

Amirouche voulut repasser par les Ouacifs où il avait commencé son maquis. Il y connaissait de bons militants qui sauraient lui donner les informations dont il avait besoin pour restructurer cette région aux traditions de lutte éprouvées. Le village de Tikichourt, où il avait fait halte avec ses hommes, était juste en face de Tassaft Ouguemmoun, son village natal. Il appela Slimane, qu’il avait privé d’une visite familiale au cours de laquelle il espérait secrètement passer une nuit avec sa jeune épouse, et lui dit :

«Tu vois, en face de nous il y a ma mère, et peut-être ma femme et mon fils*. J’aurais bien aimé les voir mais je me l’interdis, car l’intérêt du pays ne me le permet pas.»

Slimane Laïchour qui rapporte cet échange plus d’un demi-siècle après réprime un sanglot avant d’ajouter :

« Il avait ressenti ma douleur et mon dépit quand il m’avait interdit de monter chez moi. Il tenait à me le faire savoir. Je ne l’ai jamais vu demander quelque chose à quelqu’un qu’il nes’imposât pas à lui-même. Comment refuser quoi que ce soit à un telhomme ? Comment ne pas le vénérer ? Comment l’oublier ? »

 

Le colonel de la wilaya III fera venir quelques semaines plus tard aux Aït Ouabane son fils. Cette fois encore, c’est à Dda Belaïd que reviendra la mission de ramener le petit Nordine, âgé de 9 ans, auprès de son père. Ce sera la première et la dernière fois qu’ils se verront depuis qu’il avait pris le maquis. La deuxième rencontre aurait dû avoir lieu deux ans plus tard, en1959, quand Amirouche prit le départ pour Tunis, où il devait laisser son fils. Hébergé par une famille de patriotes habitant Tizi-Ouzou, les Aït Mouloud, Nordine ne pourra pas arriver à temps au maquis, son père ayant pris plus tôt que prévu la route pourla Tunisiequi lui fut fatale. Comme Amirouche ne parlait pas de lui-même, la plupart des combattants ignoraient qu’il avait un fils. Ses gardes du corps et ses deux plus proches collaborateurs furent surpris et heureux de découvrir ce jour-là que leur chef était aussi père. …

 

* La femme et le fils d’Amirouche étaient recueillis par son beau-père Dda Belaïd, qui habitait à Oued Fodda, à l’ouest du pays.

 

 

SADI-Saïd_Amirouche_2000_couv.jpgSaïd SADI

 

Amirouche, une vie, deux morts, un testament (Biographie)

 

 

Éditions L'Harmattan

Paris 2010

17/11/2012

Même pour ne pas vaincre (Stéphane CHAUMET) 1


...

Et quelle dose de phantasme ou d'exo­tisme l'un envers l'autre, l'uniforme du militaire, sa jeu­nesse virile et douce, la Kabyle aux yeux verts cernés de noir, ses tresses, ses bracelets aux chevilles, ses bijoux d'argent avec des émaux, ses tuniques à fleurs...

« Jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte. Elle a peur, elle sait ce que cela signifie pour elle, ici le déshonneur se lave dans le sang. Elle connaît l'histoire de cette fille d'un autre village, les rumeurs circulent aussi vite que le vent, enceinte d'un officier français elle s'était réfugiée dans la SAS qu'il dirigeait. Le clan rival de sa famille se réjouissait de ce déshonneur qui les éclaboussait tous, qu'elle mette au monde un bâtard. Mais le médecin de la SAS l'a avortée. C'est le clan rival, frustré de sa joie, qui a tué l'officier et le médecin s'en est sorti avec une balle dans l'épaule. Quant à la fille, ses propres frères s'en étaient chargés. Ma mère au lieu de fuir a dissimulé d'abord sa grossesse, elle ne voulait pas avorter. Son mari est venu en permission de sa harka pour deux jours, elle a fait croire par la suite qu'elle était enceinte de lui. Son mari n'a eu aucun doute, mais avant qu'elle n'accouche il est tombé aux mains des combattants algériens, avec d'autres harkis, tous torturés, tous exécutés.

« Un jour un gamin a accouru à l'infirmerie en criant Sania, vite, vite ! Il s'est précipité et devant la porte de la maison il a entendu des hurlements saccadés, aigus, des râles. Instinctivement il a sorti son arme, on était en train de la torturer. Et c'était moi ! Ma mère, suspendue à une poutre, maintenue sous les aisselles par un harnais de chiffons noués ensemble, toute pâle, dégoulinante, fris­sonnante, la tête projetée en arrière à chaque contraction violente, ses jupes relevées au-dessus de la taille. Entre ses cuisses mouillées de sueur, le pied d'un bébé. Le mien ! La sage-femme du village semblait ne plus savoir quoi faire. La soeur de ma mère lui épongeait parfois le visage, ma grand-mère était concentrée sur son rituel d'accou­chement. Il est allé lui-même chercher le médecin. Il fal­lait l'hospitaliser d'urgence, si on forçait je risquais de m'étrangler avec le cordon. Dans cette position, impos­sible de la faire entrer dans la voiture, c'est sur la plate-forme d'un camion qu'on l'a installée, le médecin avec elle, et son militaire a pris le volant jusqu'à l'hôpital de Tizi-Ouzou. Je ne sais pas si ce sont les cahots de la route qui m'ont remise dans le bon sens ou poussée dehors, mais je suis sortie avant d'atteindre l'hôpital ! En tout cas je commençais ma vie à l'image de ce qu'elle allait être, bien secouée.

« La France à ce moment-là avait déjà pris la décision de quitter l'Algérie. Ceux de la SAS, un peu désorganisée depuis la mort du lieutenant, se préparaient à partir. L'amant de ma mère savait qu'ils avaient l'ordre de récu­pérer avant le départ les armes de tous les moghaznis. Leur rapatriement n'avait pas été prévu. Le nouvel officier affecté à la SAS et chargé du repli n'avait pas d'état d'âme, les ordres sont les ordres. Il n'a pas hésité un instant à employer la ruse pour désarmer les supplétifs, en leur faisant croire qu'il s'agissait seulement de remplacer leurs armes. Tout le village a vu comment, à l'arrivée des camions pour les militaires et le matériel, on a empêché les moghaznis d'y monter, tout le village a vu et ressenti la panique, la rage impuissante et le désespoir dans les yeux de ces hommes à l'instant où ils ont compris à quoi la France qu'ils avaient servie les destinait. Les villageois ont été épargnés, mais les supplétifs qui n'ont pas pu fuir ont été massacrés parle FLN. Certains jetés vivants dans l'eau bouillante, certains abandonnés au soleil, en pleine montagne, après leur avoir brisé les bras et les jambes.

 

CHAUMET_Même pour ne pas vaincre_2011_couv.jpgStéphane CHAUMET

Même pour ne pas vaincre

Éditions du Seuil

Paris. 2011

 

 

 

 

12/11/2012

Mohammed KHORSI, Moudjahid (Sabrina AZZI)

Mohammed n'eut jamais l'opportunité d'avoir un fusil ou savoir comment l'utiliser ; de surcroît, il ne passa pas son service militaire vu que son père n'était pas au pays ; donc il était le soutien de famille .Les moudjahiddines, pour mieux s'assurer de son courage et à quel point il tenait à rejoindre le maquis, exigèrent de lui faire descendre El Moukhtar qui se trouvait à Tizi Hibel ; ce dernier était l'écrivain public de la région.

Il passa toute la veille en ruminant comment procéder pour accomplir cette mission ?

 Il se leva très tôt, s'apprêta à mettre en train sa tâche, et d'un air angoissé, il dit à sa femme :

- Où tu as mis le châle que je t'ai offert récemment ? S'il te plait tu me le donnes.

Chabha sans lui demander son besoin pour ce châle se précipita et le lui donna. Il ne lui a rien dit de crainte de la tourmenter. Il la connaissait très bien, elle essaierait de l'empêcher d'y aller. Il préféra avoir la bouche cousue que de perdre du temps ; tôt ou tard, elle le saurait. Il prit le châle, le mit dans sa poche et déguerpit.

 À Tizi Hibel, il ne rencontra aucune difficulté pour trouver le bureau de travail d'El Moukhtar : c'était un homme que tout le monde connaissait ; il aidait les Français comme il aidait les Algériens. Il était bien connu par tous les villageois. Il frappa à la porte,

- Entrez ! cria El Moukhtar

- Bonjour, je suis bien au bureau de monsieur El Moukhtar ? dit Mohammed

- Oui, de quoi pourrai-je vous servir ? : rétorqua-t-il sans même lever la tête.

 Dans la salle où fut El Moukhtar, se trouvait sa petite fille qui, à l'entrée de Mohammed, prit la porte.

- Vous m'écrivez une lettre à mon chef de travail ? S'il vous plait !

- Votre carte d'identité monsieur ?

- La voici !

 El Moukhtar était un homme qui avait une très grande expérience en ce qui concernait les guerres. Il était dans les rangs français durant la deuxième guerre mondiale ; il pouvait sentir le danger de loin. Quoiqu'il fût du côté des Français, il ne s'était jamais montré hostile ni méprisant envers les Algériens. Il remarqua un certain embarras sur le visage de Mohammed ; il remarqua aussi un changement dans son comportement. Il saisit une feuille vierge, et dès qu'il s'était mis à écrire, il aperçut Mohammed en train de chercher quelque chose qui était coincé dans sa ceinture. Mohammed prit le pistolet que les moudjahiddines lui avaient donné pour cette mission, et tira sur lui. El Moukhtar était malin et vigilant : avant que la balle ne sortit du fusil, il bouscula vers lui le bureau pour l’entraver et la balle fut tirée dans le vide...

 Dès que Mohammed appuya sur la détente du fusil, il décampa laissant sur le bureau sa carte d'identité et se dirigea directement vers Takrart. À sa grande surprise, il aperçut de loin qu'il était encerclé ; une fourmilière de soldats entourait le village. Il changea vite de destination. Arrivé à Tizi Msbaa Iberdan, un carrefour où sept chemins s'entrecroisent, il trouva les Français et, sans perdre aucune seconde, prit la fuite. Les Français le poursuivirent et tirèrent sur lui sans l'atteindre. Animé de sa foi et de son courage, il ripostait en se dirigeant vers Thala Khellil où se trouvait le chef de front.

Exsangue de fatigue, il parlait avec peine « je veux rejoindre le maquis ! »

 Le chef de front étonné de sa décision (il était jeune pour supporter les affres de la guerre) lui dit :

- Est ce que tes parents savent ce que tu comptes faire ?

- Mon père est en France, et ma mère sait bien qu'il viendra le jour où je sortirai au maquis, mais pour l'instant elle n'en sait rien. Et après tout, je n'ai pas besoin de leur approbation pour que je fasse ce que je veux, pour que je défende mon pays, non... ! Je suis assez responsable, me parait-il !

 

El Moukhtar déposa plainte, et sa petite fille affirma que, s'ils l'attrapaient, elle le reconnaîtrait indubitablement. Mohammed bien qu'il avait le châle, vu l'anxiété qui s'était accaparée de lui, avait omis de recourir à son utilisation pour dissimuler son visage.

 Désormais, Mohammed était recherché par les Français. Sa mère s'affola quand elle fut mise au courant. … Sa femme Chabha, devenue pâle sous le choc, n'avait jamais pensé qu'il allait le faire ; elle ne prenait pas ses propos au sérieux. C'est vrai qu'il avait l'habitude de parler de la révolution et de son envie de devenir un maquisard ; mais pas si vite !

 

Mohammed concrétisa son rêve en 1955. Il endossa enfin l'uniforme des moudjahiddines …

 

 

AZZI_Ath-Douala_2008_couv.jpgSabrina AZZI

Ath-Douala, le rendez-vous manqué

 

Chapitre 3 (Extraits)

 

ISBN : 978-9947-0-2194-1

2008

07/11/2012

Nos pères sont partis (Dalila BELLIL) 2

Letrre de Boufarik (Suite)

 

Quelques années auparavant, ami Ahmed était parti « travailler à gagner de l'argent » en France. Il n'était rentré au pays que lorsque Jidah lui avait annoncé avoir trouvé une épouse pour lui. Son retour signifiait le départ de mon père, son frère cadet. Pour éviter la dispersion des hommes du village, un relais avait été instauré au sein des familles. Ami Nourredine, le plus jeune de mes oncles, qui avait trouvé une bonne situation dans l'administration d'une ville voisine, fut épargné par cette fatalité qui expédiait nos hommes au loin. Leur immigration était très organisée: une fois en France, les nouveaux arrivants étaient accueillis par leurs cousins du village et partageaient le même foyer, le même hôtel. Personne n'était laissé seul. L'exil était trop douloureux pour s'ajouter à la solitude.

Certains immigrés avaient construit des villas de plusieurs étages qui renvoyaient à la préhistoire nos modestes habitations traditionnelles. On murmurait dans les rues du village que ces ambitieuses demeures n'avaient pu voir le jour que parce que Madame travaillait. Ces rumeurs faisaient s'esclaffer nos gens qui trouvaient l'idée aussi extravagante qu'insensée. C'était pourtant un fait avéré. Certaines immigrées gardaient les enfants des roumis ou faisaient le ménage chez les roumis. À Céf, quand elles arrivaient, vêtues de pantalons, les cheveux colorés non plus au henné mais à la teinture chimique, nous nous frottions les yeux, tentant de discerner sous leur allure occidentale les héritières de notre reine Dihya. Qu'elles étaient loin, les pauvres fatmas effrayées qui avaient quitté le bled, les yeux pleins de larmes et le coeur déchiré ! Elles affichaient désormais des airs victorieux, des dents en or et riaient fort, ne se gênant nullement de la compagnie des hommes. Quand elles nous hélaient, nous demandant un service ou nous offrant des friandises, nous rougissions très fort, intimidées de parler à ces belles étrangères. En revanche, je ne me souviens pas avoir ressenti le moindre embarras avec ta mère.

Nous passions nos soirées près du qanoun (foyer), écoutant dans un silence impressionné les histoires que jidah Tassadit savait si bien raconter. Parfois, les femmes de la maison se réunissaient et confectionnaient des couvertures, des châles et des chaussettes épaisses pour supporter les rigueurs de choi. Tout en travaillant, elles chantaient des airs anciens qui me bouleversaient. À la belle saison, nous profitions de la douceur des nuits, nous réunissant dans oufrag installées sur des tapis, nous contemplions le ciel et les étoiles, cherchant du regard les anges et les dieux qui peuplaient les récits de jidah Tassadit.

 

BELLIL_télévision.jpg

Quand mon père introduisit le poste de télévision qu'il avait acheté en France, se rendit-il compte qu'il allait initier une mutation irréversible dans notre mode de vie ? Tel un mauvais sort, il envoûta les esprits et séduisit les cœurs. Personne n'écoutait plus les histoires de jidah Tassadit. La télévision en proposait chaque jour de nouvelles, autrement plus belles et surprenantes ! Nous fûmes parmi les premières familles du village à être équipées d'un poste, de dimension modeste et en noir et blanc. Ma mère n'était pas peu fière d'accueillir les voisins curieux de découvrir cette invention moderne dont tout le monde disait tant de bien. Combien de fois ai-je retenu mon bras qui n'aspirait qu'à culbuter l'appareil et lui faire rendre l'âme ? Ma lâcheté ne changea rien au changement amorcé. La télévision avait gagné.

Adieu nos belles histoires et nos veillées, adieu nos soirées sous la lune, nos moments de joie entre femmes, adieu nos jeux d'enfants, la télévision nous éloigna, nous laissant seuls, face à elle.

Qu'Allah te guide et te préserve, Dahbia.

 

 

 

Dalila BELLIL

Nos pères sont partis

 

Pages 58 à 62

 

Éditions Encre d’Orient

2011