28/01/2009
La tourterelle de Youssef Yousfine (Nathalie DALADIER)
Dieu donne créance au bien, non au mal ;
Le bien pour moi, le mal pour lui,
Ou bien il emporte le tout...
Il y avait une fois un roi qui n'arrivait pas à avoir une fille, jusqu'au jour où sa femme en mit une au monde. Cette fille était chérie de son père. Il la prit et la plaça dans une chambre haute, seule. Une servante lui apportait à manger, elle enlevait la croûte du pain, les noyaux des dattes, les os de la viande. Elle ne lui donnait que de la nourriture de choix.
Un jour, la servante distraite laissa la nourriture sans rien enlever ni au pain, ni aux dattes, ni à la viande. Et la fille du roi trouva un os à la viande, de la croûte au pain, des noyaux aux dattes. Étonnée, elle prit l'os et se mit à creuser le mur tant et si bien qu'elle y fit un petit trou. À côté du palais, il y avait une mosquée.
Elle entendait les petits élèves coraniques dire :
– Ô Dieu, fais que ma planchette (équivalent d’une ardoise pour écrire) soit comme celle de Youssef Yousfine !
Elle se dit alors : « Comment ? Y aurait-il quelqu'un qui me surpasse ?»
Et elle en tomba malade. Son père fit venir des lettrés pour la sauver. À peine l'un d'eux la voyait-il, qu'il disait au roi :
– Ta fille est malade du mal d'amour.
Mais quiconque avait le malheur de prononcer ces mots avait la tête tranchée. À la fin, il n'en resta plus qu'un dans le pays. Le roi le fit convoquer.
La femme de ce lettré était dans les douleurs de l'enfantement. Il était déjà sur le pas de la porte pour se rendre au palais, quand on l'appela :
– Eh ! Ta femme vient de mettre au monde une fille.
L'homme alla voir sa fille et le bébé lui parla :
– Prends garde : quand tu auras ouvert le livre, ne lis pas tout; dis au roi: «Levez-vous, apportez tout comme pour une noce, préparez de la galette fine, du gros couscous et tout ce qu’il faut pour un mariage.» Dis-lui encore de faire faire une gourde en or, une jatte en argent, un lit-cage en or avec des arceaux en argent. Dis-lui enfin que l'on dépose tout cela dans une pièce à part et qu'on laisse la princesse y pénétrer seule.
– Bien, lui dit son père.
Et il partit chez le roi. Ouvrant le livre, il récita tout jusqu'à l'endroit indiqué par sa fille puis dit exactement ce qu'elle lui avait recommandé de dire. Le roi se leva:
– Proclame dans tous les lieux de réunion que toutes les femmes de la ville doivent venir au palais ! ordonna-t-il au crieur public.
Le crieur public fit la proclamation et toutes les femmes se rendirent au palais. Les unes se mirent à confectionner du couscous, d'autres des galettes minces, d'autres des plats de fèves, d'autres encore du gros couscous. Tout ce qu'il est nécessaire de préparer pour un mariage.
Le roi demanda à un orfèvre de lui fabriquer une gourde en or et une jatte en argent et aussi un lit-cage en or avec des arceaux en argent.
Et il ajouta :
– Tout doit être prêt dans deux jours.
– Bien, lui répondit l'artisan.
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Nathalie DALADIER
L’École des loisirs
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24/01/2009
BOTTE A BOTTE (Ibrahim) Suite 2
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Heureusement citron et cannelle sont prévus dans l’approvisionnement de ma cantine à vivres, et j’appelle mon ordonnance pour lui remplir les mains de deux magnifiques citrons et de plusieurs tuyaux de cannelle qui embaument. Comme les grandes douleurs, les grandes responsabilités sont muettes, et c’est dans un profond recueillement que s’achève le vin chaud, Testart se bornant pendant ce sacerdoce à empêcher les interventions inopportunes de ses voisins.
Quand la chose est à point, le Parisien revient vers ma tente, restée ouverte, et me dit, avec son invariable formule : « Pardon, mon capitaine, si c’était un effet de votre bonté. de prendre un verre de vin chaud avec nous! Je les rejoins, et, dans le quart en fer battu, je trinque avec eux.
Le vin chaud est bon, et sur les compliments sincères que j’en fais à Testant, une seconde tournée est versée. Ô puissance humiliante de la cannelle et du citron ! Pendant que mes hommes finissent leur gamelle, dont les Assès ont refusé de goûter : La ! Sahah ! ma n’schreubche! Kawa barca (Non, merci ! Je ne bois pas ! Du café seulement), je parcours mon domaine, où tout me semble transformé ; les chacals et les hyènes ne lancent plus que des sons graves et nullement lugubres ; les grandes ombres de mes mulets font bien sur la blancheur crue de la lune ; Moujik est d’une gaieté folle, comme s’il avait bu du vin chaud, et flaire avec ardeur les moindres broussailles qui lui semblent contenir des gibiers extraordinaires ; je rentre enfin dans ma tente, et je m’endors en effeuillant toujours la marguerite des soupçons : Coupable ? Pas coupable ? Fidèle ? Pas fidèle ? Je crois bien que je suis resté, quand le sommeil m’a pris, sur le pétale qui disait : fidèle, pas coupable ! Mais pourquoi pas de lettres depuis trois semaines ?
Le lendemain, au petit jour, mon ordonnance venait me réveiller pour lever le camp et partir, et comme je le renvoyais pour laisser faire la grasse matinée à mon monde, il me dit : « C’est que, mon capitaine, il y a Ali qui vous apporte une lettre. » Une lettre ! La lettre peut-être ! Oui, c'était elle, une lettre de Lucie sur un papier que je ne lui connaissais pas et timbrée d'un autre bureau de poste que Paris. Voici ce qu'elle disait, cette lettre de jour de l'an :
Langres, le 20 décembre 1886.
« Mon chéri, j'ai quitté Paris deux jours après toi, d'abord parce que je ne pouvais plus y vivre sans toi, ensuite parce que ma tante m'a fait venir à Langres pour me consulter sur l'achat d'une maison dont elle a envie depuis longtemps et qui est à vendre. Je resterai donc chez ma tante jusqu'à ton retour …
« Adieu, chéri adoré, je te... et te …
« Ta Lucie. >
Les souhaits de mes hommes m'avaient porté bonheur; Lucie était fidèle, en sûreté, chez sa tante. A huit heures, nous levions le camp, et je prenais la tête de ma caravane, alerte, dispos, avec des encouragements pour chacun, bavardant, faisant sauter tous les ruisseaux à mon cheval, heureux comme un enfant qui vient de recevoir ses étrennes.
FIN DU 1er CHAPITRE
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17/01/2009
BOTTE A BOTTE (Ibrahim) Suite 1
De temps en temps, les auditeurs risquaient un mot, un souvenir à eux, l'enterrement du père Coqueteau, où tout le monde était en ribote; la fille du maire qui s'était mariée le 2 janvier, ce qui avait fait deux jours de fête pour tout te village; mais Testart ne laissait pas longtemps la parole à ces campagnards et renchérissait aussitôt sur leurs propos : Il avait raison, ce Testart, le jour de l'an n'était possible qu'à Paris... avec Lucie!
Impatienté, je crie de ma tente « Yah ! Assessa ! Skout-aleck, deroueck ! » (Vas-tu te taire),et les autres de répéter: « I goul Skout-alek ! » (Il te dit de te taire). Je n'entends plus qu'un vague murmure de prières débité en sourdine; mais les autres aussi parlent encore, à voix basse maintenant, comme des conspirateurs. Que méditent-ils pour leur jour de l'an ? Testart veut-il les entrainer dans quelque escapade, leur faire quitter le camp ? Il est capable de tout, ce damné Parisien qui m’a attristé davantage avec ses histoires. Je prête l'oreille ; je ne me suis pas trompé; mon ordonnance est du complot. Il dit : « Mais non, ça y fera pas de peine, au capitaine, au contraire. » Comment, au contraire? Vous le verrez bien, si je prends vos frasques en plaisanterie. Et le Parisien reprend . « Alors, c'est dit, ça y est? Dans cinq minutes ! » Les cinq minutes se passent.
« C'est-i-l'heure ? » demande Testart. « Oui, allons-y », répond mon ordonnance, qui a toujours le privilège de l'heure exacte dans ma petite troupe. Tous se lèvent, y compris les Assès, qui suivent le mouvement, et la bande se dirige, non pas furtivement vers Fort-National, à travers la montagne, mais vers ma tente, où la lampe est toujours allumée et où ma silhouette, se promenant sur la toile, a appris à mes hommes que je ne dormais pas. Près de la porte, Testart, de son plus pur accent faubourien, m'interpelle : « Pardon, mon capitaine, excusez-nous s'il vous plaît, nous voudrions vous parler. » Je sais ce que c'est, une permission, une carotte, pour ne pas travailler le lendemain ; je déboucle la porte ; ils entrent, Testart en tête, mon ordonnance, les deux tringlots, et dans le fond les quatre burnous des Assès, qui jouent les mameluks dans ce cortège. Testart prend la parole, son képi à la main : « Pardon, mon capitaine, mais comme nous avons vu que vous n'étiez pas couché, et que ça se trouve le jour de
l'an, et qu'il est juste minuit, nous venons vous souhaiter la bonne année. Bonne et Heureuse, mon capitaine, et à l’honneur de nous revoir, à Paris, où le père Testart sera bien heureux si vous venez manger la soupe un soir à la maison. »
Je leur serre la main à tous, pendant que mon ordonnance, pour se donner une contenance, caresse Moujik qui est venu rôder autour de ses jambes. Les Assès, en montrant toutes leurs dents, me disent aussi : « Ah ! Boun Anii, Msiou Captan ! Boun ani ! » Je déclare que le jour de l'an ne peut pas se passer ainsi, qu'on va tirer trois litres du baril pour taire du vin chaud.
Le vin chaud se confectionne au dehors; c'est Testart qui en a pris la direction ; ils ont bien leurs rations de sucre qu'ils vont sacrifier pour cette bombance; les tringlots de la Corrèze ont versé les trois litres dans cette grande gamelle et le sommet d'un pain de sucre émerge du liquide comme un pic au milieu des flots ; la cuisson va commencer quand Testart intervient « Eh bien, de quoi, c'est comme ça qu'on fait le vin chaud dans la montagne ? Oh la la ! Quel malheur ! » Et toute la supériorité gouailleuse de l'apprenti canneur de chaises reparaît au sujet de l’assaisonnement du vin chaud. C'est du citron et de la cannelle qu’il faudrait; mais où prendre du citron et de la cannelle sur les plateaux du Djurjura, en pleine Kabylie, à cent et quelques lieues de toute succursale de Potin ? Testart se désespère déjà de cette lacune, disant que c'est pas du vin chaud qu'on va faire, rien que du vin sucré comme on lui en donnait pendant sa fluxion de poitrine à l'hôpital Saint-Antoine.
…
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