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26/12/2009

Sétif (Adolphe BADIN)

 

À quatre heures de l’après-midi, la diligence arrivait à Sétif, une véritable ville, plus importante que Bordj Bou-Arréridj, et qui le deviendra davantage encore lorsque le chemin de fer la reliera d’une part à Constantine et de l’autre à Alger.  Pendant que l’on changeait les chevaux et que le conducteur dînait à l’hôtel de France, M. Durozier emmena les enfants, pour leur dégourdir les jambes, jusqu’au milieu de la ville. Sétif parait fort intéressant et fort agréable, avec ses belles rues bien larges, bien droites, bordées d’arbres vigoureux, avec sa Place du Théâtre ornée d’une fontaine monumentale, et sa gracieuse mosquée, dont le minaret élancé domine au loin la ville et les environs.  Mais ce qui mérite surtout d’être vu, c’est la promenade publique, plantée de frênes, d’acacias et de mûriers magnifiques, à l’ombre desquels on a rassemblé les antiquités romaines provenant de l’ancienne Sitifis.

 

À gauche de la Promenade, et proche la Porte d’Alger, s’étend un vaste espace découvert, où chaque dimanche, se tient un marché important, fréquenté en moyenne par dix à onze mille indigènes Kabyles, descendus de la montagne avec leurs olives, leurs figues, leurs charbons, ou Arabes de la plaine, poussant devant eux leurs troupeaux de moutons.

 

À partir de Sétif, qui est le dernier relais entre Alger et Constantine, le paysage n’offre plus grand intérêt. Les vastes plaines des Abd-en-Hour, que l’on traverse, sont presque entièrement dépourvues, non seulement d’habitations, mais de végétation de toute espèce. Il y a quelques années, on n’y voyait, en fait d’arbres, qu’une seule et malheureuse aubépine surnommée par nos soldats le chiffonnier, à cause des innombrables loques de toutes nuances accrochées à ses branches, en manière d’ex-voto, par les indigènes.  Il se passera bien du temps, sans doute, avant que de beaux établissements agricoles et des plantations verdoyantes viennent reposer agréablement l’oeil du voyageur dans ces espaces nus et déserts.

 

BADIN-Adolphe_Jean CASTEYRAS.jpgAdolphe BADIN

Jean CASTEYRAS

Aventures de trois enfants en Algérie

 

Paris ;1888

 

 

 

 

 

 

 

  

Setif_La-mosquee.jpg
Mosquée de Sétif (Photo RMN)

21/12/2009

Il pleut (Farid MAHIOUT)

 

 

Je dédie ces poèmes à ma mère, morte une certaine nuit étoilée et glacée après une longue maladie.

 

 

Il pleut :

Les enfants ont faim

Et la nuit est longue.

 

Il pleut :

Les prisons sont pleines

Et l’injustice continue

À régner sans partage.

 

Il pleut :

Les veuves pleurent

Et leurs larmes ruissellent

Sur les tombes des morts.

 

Il pleut :

Peur au ventre ;

Et la mort sème

De nouveau la terreur.

 

Il pleut :

Tous les soirs,

Les gens ont peur.

Puis l’horreur du lendemain :

Carnages, embuscades

Déchirent le rideau noir

Du jour.

 

 

MAHIOUT-Farid_Tassa ou la mort.jpgFarid Mahiout

Tassa ou la mort

 

Publibook

2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Farid Mahiout, né en 1972 à Aïn El Hammam (Tizi-Ouzou, Kabylie), est un jeune auteur, poète et journaliste algérien, titulaire d’une licence en sciences de l'information et de la communication, obtenue à l'université d'Alger. Il a exercé la fonction de journaliste correspondant dans plusieurs journaux francophones et a à son actif plusieurs travaux de création littéraire et cinématographique.

 

16/12/2009

Lucerne (Léon Tolstoï) fin

 

Le 7 juillet 1857, à Lucerne, devant le Schweitzerhoff, habité par les gens les plus riches du monde, un pauvre chanteur ambulant a chanté pendant une demi-heure en jouant sur sa guitare. Une centaine de personnes l’ont écouté. Par trois fois, le chanteur pria qu’on lui donnât quelque chose. Mais nul ne mit la main à la poche et nombreux furent ceux qui le tournèrent en dérision.

 

Ce n’est pas une imagination, c’est un fait que chacun peut trouver dans les journaux de l’époque. On peut même y trouver les noms des étrangers qui, le 7 juillet, habitaient l’hôtel. Et voilà l’événement que les historiens de notre époque doivent inscrire en lettres de feu. Ce fait est plus important et comporte plus de sens que les événements enregistrés quotidiennement dans les journaux et la chronique.

Que les Anglais aient tué mille Chinois parce que ceux-ci n’achètent pas argent comptant leur marchandise, que les Français aient tué mille Kabyles pour que le blé pousse bien en Afrique du Nord et qu’il est bon d’entretenir l’esprit militaire, que l’ambassadeur de Turquie à Naples ne puisse pas être Juif, que l’empereur Napoléon III se promène à Plombières et assure à son peuple, par la presse, qu’il ne gouverne que par la volonté nationale, tout cela ne sont que des mots qui cachent ou dévoilent des choses connues. Mais l’événement du 7 juillet à Lucerne, me semble nouveau, étrange et en rapport non avec l’éternelle précision de l’évolution sociale. Ce fait n’est pas destiné à l’histoire des actes humains, mais à l’histoire du progrès et de la civilisation.

Pourquoi ce fait inhumain, impossible en n’importe quel village d’Allemagne, de France ou d’Italie, était-il possible ici où la civilisation, la liberté et l’égalité arrivent à leur point culminant et où s’assemblent les touristes les plus cultivés des nations les plus civilisées.

Pourquoi ces hommes cultivés, humanitaires, capables d’honnêtes sentiments n’ont-ils pas réuni un mouvement de coeur quand il s’agit d’un acte de bonté individuelle ?

Pourquoi les mêmes qui, confinés dans leurs palais, dans leurs meetings, dans leurs clubs s’occupent-ils chaleureusement de l’état des célibataires chinois, du développement du christianisme africain, de la fondation des sociétés favorisant le mieux-être de l’humanité, et pourquoi ne trouvent-ils pas en leur âme ce sentiment si simple et primitif qui rapproche l’homme de l’homme ?

Lequel des deux est donc l’homme et lequel est le barbare ? Est-ce le lord, qui voyant l’habit usagé du chanteur, quitta la table avec colère sans lui donner pour son travail la millionième partie de son revenu et qui, assis dans sa chambre, resplendissante et calme, juge les affaires de Chine et justifie les meurtres qui s’y commettent, ou le petit chanteur qui, un franc en poche, sans avoir jamais fait de mal à personne, risque la prison et court par monts et par vaux pour consoler avec son chant et qui, humilié, fatigué, affamé, est maintenant allé dormir sur une paille malpropre.

C’est à ce moment que, dans le silence de la ville, j’entendis le son de la guitare du petit homme.

Une voix en moi me disait : Tu n’as pas le droit de la plaindre ni de t’indigner contre la richesse du lord. Qui donc a pesé le bonheur intérieur de chacun des êtres ? Il est assis là-bas sur un seuil quelconque et, regardant le ciel lunaire, il chante joyeusement dans la nuit douce et parfumée. Nul reproche, nulle colère, nul remords n’ont de place en son âme. Mais que se passe-t-il, en revanche, dans l’âme des hommes qui se cachent derrière ces murs lourds et épais ? Qui sait s’ils ont en eux autant d’insouciance et de joie de vivre et de concordance avec l’univers qu’il n’y a dans l’âme de ce petit homme ? La sagesse est infinie de Celui qui a permis et ordonné l’existence de toutes ces contradictions. À toi seul, humble ver de terre, à toi seul qui, dans ta témérité, ose vouloir pénétrer Ses lois et Ses intentions, à toi seul elles semblent contradictoires. Dans Sa mansuétude infinie, Il regarde de Ses sereines hauteurs, et Se délecte de cette harmonie où vous vous agitez en sens opposés et où vous croyez voir des contradictions. Ton orgueil fut cause que tu voulus te soustraire à la loi commune. Non, toi-même avec ta petite et banale indignation contre les valets, toi aussi tu as répondu aux besoins de l’harmonie éternelle et infinie...

 

 Léon Tolstoï

Lucerne (Nouvelle)

 

1ère publication en 1857

 

Suisse_LUCERNE_Hotel-Schweizerhof-2.jpg
Photo actuelle de l'Hôtel Schweizerhof à Lucerne en Suisse

12/12/2009

Du temps de la France (Jean GALLAND) 2

 

Une découverte imprévue, près de TABAROURT, Kabylie. (Suite)

 

Soudain à quelques mètres à droite du chemin ils découvrirent un amoncellement de blocs dont les contours ne semblaient pas naturels. Ayant installé le couffin berceau sur un tapis d'herbe, ils franchirent le fossé pour aller voir cela de plus près. Sur une remontée de terrain avant l'immense descente jusqu'à la mer d'énormes rochers découpés grossièrement avaient été entassés pour former une enceinte vaguement elliptique. Cette enceinte constituée de plusieurs épaisseurs superposées s’interrompait en trois endroits aménagés comme des couloirs d'accès.

Là où des blocs avaient été déplacés on découvrait des cavités pouvant avoir servi de tombeaux. L'ensemble n'avait guère bougé, les blocs étant encastrés les uns dans les autres pour que leur assemblage résiste au temps, à l'image, mais grossièrement, de ce qu'on peut observer encore à Mycènes ou à Machu Picchu par exemple. Sur la partie supérieure de l'enceinte, arréragée en terre-plein, des traces de soubassements de murs étaient encore visibles. Seul au-dessus du sol s'élevait un encadrement de porte dont le linteau monolithique s'appuyait sur des montants également d'un seul bloc. Comment décider s'il y avait eu là des habitations, un temple ou un poste d'observation ? Et pour observer quoi ?

Jean-Jacques croyait pouvoir exclure que ce qu'ils avaient sous les yeux avait pu être une cité du fait des dimensions très modestes de l'enceinte elliptique dont le grand axe ne mesurait guère plus d'une vingtaine de mètres. Il aurait été intéressant de trouver si, à proximité immédiate, d'autres traces associées à ce qu'ils avaient sous les yeux auraient pu constituer un ensemble aux éléments associés d'une manière cohérente.

En grimpant sur le bord de la muraille en surplomb face à la mer il eut soudain la révélation qu'ils venaient de découvrir un site archéologique digne d'intérêt, ignoré selon toute apparence des services spécialisés s'il fallait en croire la carte qui n'en faisait pas mention.

À ses pieds, tout là-bas sur la côte, deux demi-lunes de sable clair se découpaient nettement sur le reste du rivage sombre jusqu'au noir et bordé d'une mince frange d'écume et de vagues venant mourir en limite des flots.

Pourquoi ne pas rêver de navires grecs, étrusques, carthaginois venant jeter l'ancre sur ces plages et allumant des feux pour signaler leur présence afin de rencontrer des autochtones en vue de quelques trocs réciproquement profitables ? Ainsi les deux promeneurs se trouvaient peut-être là sur un poste de guet chargé de repérer l'arrivée des caboteurs étrangers et d'en avertir les villages de l'intérieur.,

Cette rencontre avec un imaginaire passé si lointain avait quelque chose d'émouvant en dépit des incertitudes qui l'enveloppaient. Quel dommage, pensaient-ils, de ne pas être mieux qualifié pour en apprécier l'intérêt et la valeur.

Quels regrets aussi de connaître cet endroit au moment de le quitter puisque Jean-Jacques avait demandé de faire la prochaine rentrée dans une autre école plus proche des villes d'Azazga ou de Tizi-Ouzou.

- Il faudra y revenir, décidèrent-ils avant de faire demi-tour.

 

Jean GALLAND

En Algérie : Du temps de la France ;

 

Éditions TIRESIAS ; 1988

 

TABAROURT_Tala Bouchane_detail-mf_ph-Hamid-Arris.jpg
Tala Bouchane (Tabarourt) Photo Hamid Arris

07/12/2009

Du temps de la France (Jean GALLAND) 1

 

Une découverte imprévue, près de TABAROURT, Kabylie.

 

Un dimanche après-midi ils décidèrent d'aller se promener dans les environs. À pied nécessairement.

L'itinéraire fut vite choisi. La carte n'offrait rien d'autre que de reprendre la piste à l'envers ou de la continuer. Loin autour de l'école de vastes territoires s'étendaient sans voies de communication à l'exception de quelques sentiers en pointillés mentionnés également comme chemins muletiers ou laies forestières.

Les villages étaient d'une rareté étonnante par comparaison avec ce qu'ils avaient aperçu dans la campagne autour de Tizi-Ouzou ou d'Azazga.

Seules des maisons forestières semblaient monter la garde dans cette immensité inhabitée. Les "M F" de Bou-Krouf, Bou-Gerat, Bou-Rouina, M'Zala étaient les seuls signes de vie au coeur ou en limite de larges nappes teintées de couleur verte.

La petite Danielle installée dans son "couffin de voyage", ils s'étaient engagés juste derrière l'école sur le chemin désigné "route forestière" et bordé d'un liseré vert qu'il fallait traduire par "parcours pittoresque".

Il faisait beau. Le ciel était uniformément bleu. Entre les deux sommets de Taharoust et de Bou-Krouf, tous deux dépassant les 1 000 mètres, circulait une brise venant de la mer qui atténuait juste ce qu'il fallait les ardeurs déjà importunes de l'insistant soleil de cette mi-mai.

Après quelques centaines de mètres de montée, tout à coup sur leur-gauche ils se trouvèrent juste au-dessus de l'école que Jean-Jacques photographia dans l'encadrement de deux arbres aux branches tourmentées.

À nouveau ils s'interrogèrent sur la présence insolite de ce bâtiment dans ce coin "perdu". Pourquoi avoir construit ici, pour une population aussi réduite, alors que dans d'autres secteurs aux densités considérablement supérieures des milliers d'enfants ne pouvaient trouver place à l'école ?

De temps à autre un véritable ruisseau traversait la piste en la ravinant profondément et on ne comptait pas les dégâts causés à la chaussée par les intempéries du dernier hiver et que les corvées n'avaient pas encore réparés.

- C'est compréhensible, dit Jean-Jacques, qu'à certains moments de l’année ce chemin ne soit praticable qu'en jeep. et encore. D' ailleurs je me demande qui peut avoir besoin de le parcourir à part les services des Ponts et Chaussées, des Eaux et Forêts ou de la commune mixte ?

D'ici, en se tournant vers le Sud, le spectacle était grandiose. L’oeil englobait toute la vallée de l'oued El Hamman alimenté d'eaux chaudes aux vertus thérapeutiques réputées. Passé l'oued le regard se perdait loin au-delà de la N 12 dans les 1 300 à 1 500 mètres des sombres verdures de la forêt d'Akfadou.

La promenade reprit. Un peu plus loin la piste bascula sur le versant dominant la mer. On devinait, tout au loin, du bleu qui n'était peut-être pas celui du ciel. Mais la brume empêchait de distinguer l'un de l'autre et de dire où se trouvait l'horizon méditerranéen. D'un détour à l'autre ils apercevaient la côte délimitant un panorama de plusieurs dizaines de kilomètres d'étendues de forêts et de versants dénudés, adrets et ubacs d'étroites vallées plongeant vers la mer.

Soudain à quelques mètres à droite du chemin ils découvrirent un amoncellement de blocs …

 

 

GALLAND-Jean_En-Algerie.jpgJean GALLAND

En Algérie : Du temps de la France ;

 

Éditions TIRESIAS ; 1988