30/12/2016
Thamila, la colombe de Bouzeguène. (Ernest JOUZEL) Extrait
Un temps de silence s'installe... La nouvelle semble avoir emmuré le père dans ses pensées, mais au fond, il est ravi que sa fille ait pris cette décision courageuse. (Celle de chercher un emploi plus gratifiant).
La mère reprend la parole :
— Ma fille, nous avons nous aussi une nouvelle à t’annoncer.
— Ah bon ! Laquelle ?
— Tu connais Tassadit, la mère de Yacine, eh bien elle est venue me demander ta main pour son fils !
Thamila n'est pas trop étonnée, elle sait que sa mère meurt d'envie de la marier le plus tôt possible parce qu'elle commence à se faire vieille et qu'elle ne veut pas mourir sans avoir d'autres petits-enfants. À bientôt trente-cinq ans, il est quand même temps qu'on lui trouve un époux ! ressasse-t-elle souvent lorsqu'elle discute avec Nacer, son mari.
La jeune femme connaît Yacine, elle l'a déjà vu lors d'une fête de mariage. Il ne lui plaît pas. Ce n'est pas tellement son aspect physique qu'elle pourrait lui reprocher, non c'est plutôt son attitude, sa manière d'être. Elle trouve en lui une certaine légèreté, un manque de sérieux. Il ne correspond pas du tout à l'homme dont elle rêve, un homme honnête, droit, aimant, fidèle. Des qualités avec lesquelles elle ne transigera jamais. Avec elle, c'est tout ou rien. Pour tout dire, Yacine ne lui fait pas bonne impression.
— Désolée maman, Yacine n'est pas mon genre, il ne pourra jamais être mon mari !
Thamila ne supporte pas les gens qui mentent, qui jouent les hypocrites, qui sont prêts à séduire une jeune fille pour finalement la laisser tomber. Non, elle ne pourra s'engager que sur les bases solides de la confiance mutuelle et de la réciprocité des sentiments.
— Moi, je veux un mari qui m'aime et que j'aimerai... et d'ailleurs c'est moi qui le choisirai !
Cette déclaration un peu inattendue a surpris les deux parents. La maman tente de reprendre l'avantage :
— Ma fille, j'ai promis à Tassadit que tu parleras à son fils, elle m'a donné son numéro de téléphone. Peut-être que vous trouverez un terrain d'entente !
— Maman, par respect pour toi et Tassadit, je l'appellerai mais ma décision est irrévocable.
Le père n'a rien dit, il n'aime pas se mêler des affaires des femmes.
À ce moment précis, les deux parents ignorent que leur fille a rencontré un garçon qui lui plaît. Ils se sont vus une première fois à Tizi-Ouzou et depuis ils s'y retrouvent chaque fois qu'elle revient d'Alger ou qu'elle y retourne. Elle l'aime bien, mais lui ne le sait pas. Elle ne lui a rien dit. Toujours cette foutue timidité qui la paralyse et l'empêche de dévoiler ses sentiments à cœur ouvert.
Le débat avec ses parents est clos, on n'y reviendra pas, du moins pour le moment. Chacun reprend ses occupations, l'esprit un peu ailleurs, là où les idées se meuvent dans les méandres de l'inconnu, dans les espaces embrumés de la pensée.
Et le week-end se passe comme si rien n'avait changé les mêmes horaires des repas, les mêmes tâches ménagères, les mêmes discussions, les mêmes sorties dans le village...
Avant que Thamila reparte pour Alger, Yemma lui recommande à nouveau d'appeler Yacine, ce qu'elle promet bien entendu. Mais sa tête est ailleurs, elle se voit déjà avec Rachid. Il vient de lui envoyer un message sur son portable, il l'attendra à la gare routière de Tizi. Une demi-heure plus tard, le bus en provenance de Bouzeguène vient se ranger au bord du quai n°8.
...
Titre : Thamila, la colombe de Bouzeguène.
Auteur : Ernest JOUZEL
Editeur : Bretagne (France) : Auto édition
Année de publication : 2016
ISBN/ISSN/EAN : 978-2-356-82482-0
Extrait pages 20 et 21
10:06 | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
08/08/2016
Conversations à EL MAIN (Pierre VAUCONSANT) Extrait 1
ALGÉRIE
Quand nous entrons dans la classe unique de l'école, l'ambiance est studieuse. On nous fait asseoir parmi les écoliers. Dans le fond de la classe nous remarquons la présence de cinq jeunes hommes. Ils ne sont pas d'ici. Ce sont des citadins. Tout le dit : leur allure vestimentaire, et une certaine morgue qui n'est pas seulement celle de leurs vingt ans. Au tableau, le muezzin qui est, durant tout le jeûne, l'Uléma de cette médersa temporaire, a calligraphié en arabe un verset de la sourate du jour. Les enfants ânonnent cet arabe littéraire aussi étranger aux petits Arabes de la classe qu'à leurs copains kabyles.
Comme les petits Français récitant leurs tables de multiplication, ils travaillent à l'oreille. Ils retiennent la musique, pas toujours les paroles. Le Muezzin, qui n'ignore pas le gouffre qui sépare l'arabe littéraire de sa version populaire, sait que les gamins ne peuvent rien comprendre. Passé l'exercice de récitation, il traduit, il commente — en français — nous lui demandons s'il utilise le français parce que nous sommes là.
« Non. Je leur commente les sourates dans votre langue parce que c'est la seule qu'ils comprennent tous.
- Et le texte, là, écrit au tableau... Ça parle de quoi ?
- C'est extrait de Houd, la onzième sourate. Ce que j'ai écrit c'est le verset quatre-vingt-cinq. Il dit. « Ô mon peuple, emplissez la mesure et le poids avec justice et ne faites pas perdre aux gens leurs biens et ne répandez pas le désordre sur terre comme les fauteurs de désordre. Ce qui reste par devers Dieu est meilleur pour vous si vous êtes croyants. »
- Vos élèves sont intéressés par ces principes, par cette morale ?
- Autant que vos gamins à Paris par le cours d'éducation civique.
- Comment savez-vous ça ?
- J'ai été à l'école porte de Clignancourt. Mon père était ouvrier. Il travaillait au carrefour Pleyel. Moi j'ai fait l'École Normale pour devenir instituteur en France mais ils ne m'ont pas donné mon diplôme. Alors je suis venu en Algérie pour faire le maître d'école et puis depuis quelques années je fais le muezzin. Je conduis la prière. »
Pendant notre échange l'attention des élèves s'est relâchée. L'ambiance studieuse a cédé la place à un joyeux vacarme. …
Pierre VAUCONSANT
Conversations à EL MAIN
Revue Bouts du Monde
N°10 Avril-Mai-Juin 2012
Pages 54-55
08:03 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook
05/01/2016
Encouragements et Vœux (Bahia AMELLAL) extrait
NB : Formules en kabyle sur les photocopies.
Encouragements :
À un fellah :
Conscients des dangers qui les guettent en travaillant la terre, les paysans disposent de toute une palette de formules encourageantes et bienveillantes pour les offrir aux leurs et dans des circonstances définies.
— Pour quelqu'un qui va gauler un olivier, on souhaite :
- Rebbi ad iεin, yeg lbaraka (voir photo)
Dieu t'aide et fasse que la récolte soit bonne
- Dieu vous aide
- Dieu vous protège (des accidents, comme la chute du haut de l'olivier)
- Que Dieu protège
- Que le gaulage se passe sans embûches
En cas de chute, la victime sera conduite chez elle par des hommes et les soins nécessaires lui seront prodigués.
— Les expressions suivantes sont utilisées pour encourager celui (celle) qui ramasse des olives, des figues sèches ou qui étale ses figues sur des claies.
- Dieu en fasse une récolte bénie
- Dieu fasse qu'il y en ait suffisamment
- Dieu vous aide
— Pendant la cueillette
- Dieu fasse que tu aies la santé (pour la récolte)
— À l'occasion d'une bonne récolte, on félicite le propriétaire des oliviers par :
- Dieu fasse que ta récolte soit de bon augure
- Dieu fasse que vous la récoltiez dans la santé et la paix
— L'étape finale, izid, qui a lieu à l'huilerie, est un moment de joie et de soulagement car le danger est derrière et le gros du travail est fait. Toute personne qui y passe, se voit adresser ces félicitations :
- Dieu fasse que tu la consommes dans la santé et la joie
- Dieu fasse que tu en aies suffisamment
Vœux et souhaits
On présente des vœux à diverses occasions comme au nouvel an : yennayer ou tabburt usegwas auquel on réserve un diner spécial ou imensi n yennayer. Les vœux expriment la prospérité, la joie, la paix, la protection matérielle, une bonne productivité donc sachant que c'est le moment de la semence. Les vœux qui reviennent
Asegwas amerbuh
Asegwas amerzuq
Ad yeg Rebbi mkul asegwas a y-d-yaf b xir
Que chaque année nous trouve en paix
Yennayer id-isekeamen lerbah
Une année que vont accompagner de bonnes récoltes
Bahia AMELLAL
La politesse en Kabylie
Editions Tafat
2015
(Pages 72-74)
09:34 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook
14/08/2015
L'enterrement (Ahmed RADJA) poème
Un vent printanier ondulait dans les champs,
les épis promettant d'abondantes moissons.
Il y aura tant de grain, du foin pour le bétail.
Il y aura, pour tout le monde, un gîte et du travail.
Au loin, sur la crête, apparaît, haut perché,
un hameau minuscule aux couleurs délavées
et plus loin, à l'orée, noyé dans la verdure,
le cimetière est là, sans haies ni sépultures.
Il a toujours vécu, attendant du hameau,
que viennent des hommes tristes l'agrandir d'un tombeau.
Il est là, effacé et pourtant très présent
en face des regards et des habitations.
Aujourd'hui encore, en cette journée d'avril,
il y a dans l’atmosphère comme un état fébrile
et, sur tous les regards, se lit la détresse
que la mort a creusée dénudant les faiblesses.
La mort, comme un chasseur, a ciblé sa proie,
l'a mise dans sa musette laissant le corps là-bas,
mutilé sur la route, gisant parmi les fleurs,
couvert d’indifférence, ignorant les malheurs.
Maintenant le corps est là, lavé et parfumé,
au milieu de la pièce, la mère à son chevet ;
elle pleure en silence en balançant son corps
et parfois marmonnant, se penchant sur le mort.
Elle lui raconte des choses par les autres ignorées ;
devant elle se déroule le film de tant d'années,
son cri en naissant, sa façon de prendre le sein ;
elle regarde, en pleurant, ce corps qui n'est plus rien.
Et quand il s'en ira, emportant le défunt,
le cortège marchera doucement sur le chemin
et, là-bas, comme de coutume, il y aura la prière
avant qu'on rende son dû à la terre nourricière.
Le poids des jours
Éditions El Amel
Tizi Ouzou
2003
07:32 | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
07/07/2015
Les préfacés du voyage (Kamel YAHIAOUI) poème
Nous voyageons seuls avec nos chairs
tatouées d'empreintes
sur lesquelles marchent nos mémoires
et défile le pas de nos origines
quand nous serons loin de nos terres
couchés sous le toit qui nous brûle le repos
ce bûcher que nous caressons
avec crainte
avec orgueil
nous nous rappellerons notre initiale étreinte
les lieux que nous fréquentons
rougissent de pudeur offusquée
écoutant nos confessions
dites à l'inconnue contrée
le songe compagnon de route
nous console des maux étrangers
parcourant nos organes charitables
à l’écart de nos murailles en ruines
nous adoptons le malaise des glaciers-jours
nous hivernons à la croisée des exils occupants
nous rappelant la cause du divorce
nous portons le vieux burnous avec fierté
un héritage sans résignation
il nous materne lors de la traversée de l’obscur
il enfante notre chaleur sous le froid de nos yeux
nous sommes atteints du syndrome
de la nomade histoire
ce parchemin du corps
nous transportons les pierres tombales
gravées du deuil impondérable
qui nous lacère le foie
le suaire antique couvre
le visage pudique de l'Afrique
dans un sillon infini résigné au silence
nous les enfants des brimades
déchus de tous nos rêves
même celui du survivre
n’avons rien bu de si cruel
que de naître dans un verre d'encre fragile
assurément nous pratiquons
la langue des signes muette
la prière de la nuit
l’explosive parole
la couleur voilée
nous peindrons
les femmes racine
les amants de l'ombre
les préfacés du voyage
nous peindrons
la foudre guerre
le bruit du désert
le cri de la mer
pour que l'étoile
dévoile sa nudité
Kamel Yahiaoui
Témoins en mémoire.
08:42 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook