Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/05/2010

Le Retour au pays (Muhend U Yehyah)

 

WINNA D-YUΓALEN ΓER TMURT,

asmuhyet n’MOHIA Abdellah

 

MOHIA_WINNA D-YUΓALEN ΓER TMURT_1.jpg
MOHIA_WINNA D-YUΓALEN ΓER TMURT_2.jpg

 

D’après "Le Retour au pays" de Jacques Prévert :

 

 

C'est un Breton qui revient au pays natal
Après avoir fait plusieurs mauvais coups.
Il se promène devant les fabriques à Douarnenez
Il ne reconnaît personne
Personne ne le reconnaît
Il est très triste.
Il entre dans une crêperie pour manger des crêpes
Mais il ne peut pas en manger
Il y a quelque chose qui les empêche de passer
Il paye
Il sort
Il allume une cigarette
Mais il ne peut pas la fumer.
Il y a quelque chose
Quelque chose dans sa tête
Quelque chose de mauvais
Il est de plus en plus triste
Et soudain il se met à se souvenir
Quelqu'un lui a dit quand il était petit
"Tu finiras sur l'échafaud"
Et pendant des années,
Il n'a jamais osé rien faire
Pas même traverser la rue
Pas même partir sur la mer
Rien, absolument rien.
Il se souvient
Celui qui avait tout prédit, c'est l'oncle Grésillard
L'oncle Grésillard qui portait malheur à tout le monde
La Vache !
Et le Breton pense à sa soeur
Qui travaille à Vaugirard
À son frère mort à la guerre
Pense à toutes les choses qu'il a vues
Toutes les choses qu'il a faites
La tristesse se serre contre lui
Il essaie une nouvelle fois
D'allumer une cigarette
Mais il n'a pas envie de fumer
Alors il décide d'aller voir l'oncle Grésillard
Il y va
Il ouvre la porte
L'oncle ne le reconnaît pas
Mais lui le reconnaît
Et il lui dit : "Bonjour oncle Grésillard"
Et il lui tord le cou
Et il finit sur l'échafaud à Quimper
Après avoir mangé deux douzaines de crêpes
Et fumé une cigarette.

28/05/2010

Fiez-vous aux femmes (Ameqran AT YEHYA) 2

 

 

Un jour, Dieu l'amena au village où se trouvaient sa femme et l'homme qui l'avait entraînée Il alla s’asseoir à la tajmaat, se proposant d'y passer la nuit, (mais vous n'auriez pas reconnu l'homme même le connaissant depuis longtemps, tant il était amaigri et mal vêtu ; même, i1 ne s'était plus rasé depuis la fugue de sa femme).

Il attendit à la tajmaat jusqu'au soir. Les gens se levèrent pour rentrer chez eux. Il en resta un : il se trouvait que c'était celui qui avait enlevé sa femme. Le mendiant le reconnut mais l'autre ne le reconnut pas. Il lui dit :

-        Tu ferais bien, l'ami, de te mettre à chercher un repas pour ce soir ; c’est 1e moment ; ou, peut-être, sais-tu où aller ?

L'autre répondit :

      Mon cher, je ne sais où je pourrais aller ; si quelqu'un m'apporte de quoi souper un peu, très bien, tant mieux ; sinon, c'est réglé, je reste ici.

      Alors, viens avec moi, dit l'autre : tu auras à souper et où dormir.

Ils quittèrent la place.

À la maison, ils allèrent à la chambre des hôtes. À ce moment, l'épouse fugitive passa la tête (dans l'embrasure de la porte). Elle ne le reconnut pas, mais i1 la reconnut : il ne dit rien.

En entrant dans la chambre, 1e maître de la maison dit à son hôte :

      Reste ici : je vais te faire allumer du feu en attendant que le souper soit prêt.

Et il alla dans une autre pièce. Au bout d'un moment, la mère de cet homme entra, alluma du feu. Elle regarda le mendiant :

      Homme, tu me plais: si tu acceptes de m'épouser, nous vivrons heureux : tu es âgé et je suis vieille aussi.

      Mère, répondit-il, je suis sûr que ton fils nous tuerait, aussi bien moi que toi.

      C'est cela qui t'inquiète ? Pas de difficulté : écoute ; tout à l'heure, je servirai le repas: je poserai le plat entre vous deux : sur le côté que je tournerai vers toi, tu pourras manger sans crainte mais je mettrai du poison du côté où mon fils se servira. Quand il sera mort, nous irons où tu voudras.

— C'est entendu, dit-il.

Le bouillon fut versé ; elle plaça le plat entre eux deux. Le maître de la maison prit la cuillère et dit : Au nom de Dieu ! Le mendiant lui saisit la main. Il reprit sa cuillère et 1e mendiant la lui fit remettre dans le plat. Une fois encore, même manège.

Enervé, le maître de la maison dit :

      Mange si tu veux, sinon laisse-moi !

DALLET_Contes.JPGAmeqran AT YEHYA

 

Écrit en 1941

Paru en 1968 ;  N°99

 

Réédition dans CONTES KABYLES

Tome III

1970

 

Pages 190 à 203

 

 

Pages correspondantes en kabyle :

DALLET_Contes_T-III_p195.JPG
DALLET_Contes_T-III_p197.JPG
DALLET_Contes_T-III_p199.JPG

26/05/2010

Fiez-vous aux femmes (AT YEHYA Ameqran) 1

 

 

 

 

      As-tu, l'ami, où aller puisque tu ne sors pas pour chercher un souper ?

 

 

      Non, dit l'autre, noble homme, je ne vais chez personne : si cela dit à quelqu'un de m'apporter un peu de souper pour l'amour de Dieu, c'est bien ; sinon, je ne bouge pas.

 

 

      Alors, viens chez moi, tu souperas et dormiras dans ma maison.

 

 

Il l'emmena (chez lui) dans la chambre à donner, lui alluma du feu pour qu'il se réchauffât en attendant que le repas soit cuit. Un moment après, il sortit, pour satisfaire un besoin. C'est alors que sa femme alla trouver le mendiant et lui dit :

 

      Si tu m'aides à sortir d'ici, je te suivrai où tu voudras, car tu me plais.

 

 

      Alors, dit le mendiant, quand i1 sera minuit, sors, nous partirons.

 

 

 

Quand le maître de la maison fut rentré, ils prirent le repas du soir et allèrent se coucher. À minuit, la femme se leva, frappa à 1a porte du mendiant : celui-ci sortit et ils partirent. Ils marchèrent longtemps, sortant d'un pays pour entrer dans un autre, jusqu'à ce qu'ils arrivent au village de ce mendiant.

 

 

Le lendemain matin, quand il se réveilla, l'homme (dont nous parlions au début de l'histoire) chercha sa femme : elle n'était nulle part. Il se dit : "Peut-être est-elle allée à la fontaine. attendons."

 

 

Il attendit jusqu'au milieu du jour ; toujours rien. Le soir, elle n'était pas là. Alors, il se douta de quelque chose : elle avait dû s'enfuir et partir avec ce mendiant qu'il avait hébergé.

 

 

Il examina soigneusement la situation et finit par se dires "Par Dieu ! je ne resterai pas plus longtemps dans ce pays ! Là où je trouverai ma vie j'essaierai de subsister."

 

 

 

Du coup, il se fit mendiant lui aussi : il entrait dans un pays, sortait d'un autre.

 

 

Un jour, Dieu l'amena au village où se trouvaient sa femme et …

 

 

 

DALLET_Contes.JPGAT YEHYA Ameqran

 

Écrit en 1941

Paru en 1968 ;  N°99

 

Réédition dans CONTES KABYLES

Tome III

1970

 

Pages 190 à 203

 

 

 

24/05/2010

Bu-S'aber (AT YEHYA Ameqran)

 

Bu-S'aber

 

Pièce en 3 actes pour enfants.

K, Waγzen, Tawrirt n At Mangellat.

J.M. Dallet - A. At Yehya - B. At Mεemmer,

Kabylie (C.E.B. 569.3).

 

Pièce inspirée d'un conte tunisien paru en Avril 1942 dans l'I.B.L.A. : A. Louis,

Une vertu bien actuelle, la patience, (eç-çober).

 

Parue en 1948 dans le F.D.B.

N°102 : Premier acte.

N°110 : Deuxième acte.

N°113 : Troisième acte.

 

Réédition en 1965, n° 328

 

MOHIA_Bu-Saber_FDB-1965.jpg
MOHIA_Bu-Saber_p3.JPG
Pages 4 à 9 (français et kabyle)
à voir dans l'album Stock
 

22/05/2010

Les voleurs de rêves (Bachir HADJADJ) 4

 

***

 

1964. Après l’indépendance.

 

L’Ordre moral. Il faisait terriblement chaud, ce jour là dans l’aérogare de Dar El Beida, ma femme venait d’arriver de France et nous étions allés au bar, le plus normalement du monde, pour nous désaltérer. J’avais commandé une bière et ne l’avait pas encore entamée lorsqu’un agent de police m’a demandé mes papiers, puis m’a conduit devant son chef, le commissaire de l’aéroport. Je venais sans le savoir de commettre un crime : algérien, musulman, je m’apprêtais à boire une bière ! Le commissaire se fit tout à tour méprisant, puis menaçant : « Les pilotes de la terre entière savent qu’en survolant l’Algérie ils survolent une terre d’islam, ce que toi tu sembles ignorer ! » me fit-il. Je fus sidéré d’entendre ce langage chez un commissaire de police. Mais je fus retenu dans les locaux de la police jusqu’au petit matin ...

Ainsi, le pouvoir s’arrogeait désormais le droit de me commander ce en quoi il fallait croire et comment il fallait croire, en d’autres siècles et sous d’autres cieux, cela s’est appelé Inquisition – l’une des périodes les plus noires de l’humanité-- ! Etait-ce là les décisions les plus urgentes dont l’Algérie avait besoin pour combler son retard sur le monde développé ? Et pourquoi ne pas lapider le couple adultère, ne pas couper la main du voleur ? En toute logique cela devait suivre. C’était peut-être ainsi que le Efélène voyait la transformation profonde de la société.

 

Je ne pouvais pas m’empêcher de penser aussi que de telles décisions, populistes et démagogiques, étaient le sceau de l’illégitimité de ce régime, qui exploitait les sentiments religieux que le peuple avait à fleur de peau en lui faisant croire que la religion était en danger et que les lois qu’il prenait contre les mécréants de mon espèce étaient destinées à la sauver. Les dirigeants caressaient le peuple dans le sens du poil, pour se faire aimer de lui à défaut de s’en être fait élire.

 

***

HADJADJ-Bachir_Rennes_2010-03-13.jpg

 

L’histoire officielle.

 

Et pour inventer à l’Algérie sa propre histoire, comme une propagande au service de son projet de culpabiliser les partisans de la modernité, [le Efélène, le parti au pouvoir] prenait, de façon tout aussi schématique, le contre-pied de l’idéologie coloniale. Si, pour cette dernière, l’Algérie n’avait été prospère que romaine et chrétienne et qu’elle l’était redevenue avec la présence française, pour le Efélène c’était exactement l’inverse : l’Algérie n’avait été prospère qu’arabe et musulmane, et elle l’était redevenue depuis l’indépendance. Tout ce qui avait précédé l’avènement de l’islam : la judaïté de l’Aurès et de la Kahéna, le paganisme de Massinissa et Jugurtha, la chrétienté d’Aurélius et de Saint-Augustin, était passé sous silence maximum, comme s’il s’agissait d’une tare. Je crois que si les responsables « Islamo-Efelène » avaient pu, ils auraient enfoui sous dix mètres de terre toutes les ruines romaines, les restes des basiliques chrétiennes et autres vestiges antérieurs à l’islam…Quant au fait colonial, il n’avait pas eu le moindre impact sur la société : c’était une période honteuse, marquée seulement par la francisation et la perte de la foi, et qu’il fallait donc taire et rejeter au plus loin et au plus vite, de peur qu’elle ne perturbe les certitudes de nos valeurs arabes et islamiques. Avec une telle interprétation, la construction d’une société démocratique et moderne, assimilée à un retour à la société européenne de la période coloniale, ne pouvait être que suspecte ou même condamnable.

 

 

HADJADJ-Bachir_voleurs-reves.jpgBachir HADJADJ

Les voleurs de rêves

 

Éditions Albin Michel

2007