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07/04/2007

L'Ogresse et la Princesse Clair-de-Lune (Salima AIT-MOHAMED)

      Autrefois, dans une vieille maison en pierre, vivait une pauvre veuve, mère de sept enfants. La malheureuse se retrouva sans aucune ressource financière, lorsque son époux décéda d'une longue et terrible maladie. Elle dut affronter seule les difficultés de l'existence. Pour nourrir ses enfants, elle acceptait tous les travaux qu'on lui proposait et s'acquittait de ses tâches correctement afin de récolter quelque argent... Ses fils se chargeaient de l'aider à l'extérieur, tandis que ses filles s'occupaient du foyer. La vie était bien pénible pour cette famille nombreuse. 

     Quand l'hiver approchait, la veuve avait peur que ses enfants ne meurent. de froid. Alors, à l'aide de bouts de laine recueillis ici et là, elle se mettait à tisser, tard dans la nuit, une large couverture de laine.

     Par une nuit plus fraîche que de coutume, le vent soufflait à grandes rafales alors que la pauvre femme s'usait les yeux à tisser jusqu'à une heure avancée de la nuit. Ses enfants dormaient profondément, les uns accrochés aux autres, comme s'ils avaient peur de se séparer. 

     Brusquement, la fragile porte d'entrée claqua. Apparut alors une énorme silhouette, si effrayante que la veuve recula jusqu'au mur. Horrible et repoussante, Tériel l'ogresse se tint sur le pas de la porte, fixant de son regard perçant la pauvre femme toute tremblante. Le monstre avança vers le métier à tisser et rassura la femme terrorisée : " Ne crains rien ! Laisse-moi t'aider ! " Stupéfaite et effarée, la veuve ne put prononcer un seul mot.

     Avec un acharnement démentiel, l'ogresse se mit à tisser. La peur au ventre, la veuve pensa qu'une fois la couverture achevée le monstre la dévorerait, elle et ses malheureux enfants. Mais le monstre n'en fit rien. Au contraire, dès qu'il eut fini de tisser une couverture, il en entama une autre et ceci jusqu'à l'aube. À ce moment-là, le monstre s'arrêta et sortit en lançant à la femme : " Voilà tes enfants à l'abri du grand froid ! Rassure-toi, l'hiver prochain, je reviendrai te tisser d'autres couvertures ! " 

     Il en fut ainsi durant sept ans. Au début de chaque saison hivernale, l'ogresse faisait irruption chez la veuve et lui tissait sept couvertures de laine.

     Au bout de la septième année, alors que l'aîné des enfants avait atteint dix-sept ans, Tériel réapparut un soir d'hiver, comme de coutume. Elle annonça à la veuve : " Voilà sept ans que je t'aide à protéger ta progéniture des morsures du froid. Aujourd'hui je suis revenue te demander de m'offrir ton fils aîné afin de t'acquitter de ta dette. Pour me témoigner ta gratitude, tu me le donneras, il me sera très utile. " 

     La veuve saisit enfin la fausse générosité qui avait motivé l'ogresse durant toutes ces longues années. Elle se souvint, qu'enfant, sa grand-mère lui contait d'innombrables histoires sur cet horrible monstre qui habitait on ne sait où, qui guettait des proies en difficulté et dévorait ses victimes toutes crues. Elle lui disait toujours que Tériel ne se montrait que pour annoncer un malheur. La pauvre femme réfléchit un peu et pensa que, si elle refusait à l'ogresse ce qu'elle exigeait d'elle, celle-ci se fâcherait et serait capable d'avaler toute la famille. Elle se résolut alors à sacrifier son fils aîné, qui était pourtant son préféré. Elle alla le voir et lui dit à voix basse : " Mon fils, toi la première perle de mon collier de vie, tu dois accompagner l'ogresse chez elle ! Je pense qu'elle projette de te dévorer, mais il existe un moyen pour la contrarier et la faire tomber dans l'interdit, expliqua la mère. Dès qu'elle s'apprêtera à t'emmener avec elle, empresse-toi de lui téter le sein, tu deviendras ainsi son fils et même une ogresse ne peut dévorer son enfant " Il suivit les recommandations de la veuve. Surprise et dépassé par l'événement, l'ogresse se mit en colère. et s'adressa à lui : " Petit misérable ! Tu m'as eue ! Mais je te prendrai malgré tout avec moi. "

     L'ogresse plongea le jeune homme dans son sac, le mis sur son dos et quitta la veuve bouleversée et déchirée par le départ de son fils aîné. 

     Le monstre marcha durant de longs jours sans s'arrêter. Le jeune homme, prisonnier au fond du sac, ne vit aucune lumière et ignora tout du voyage. Il arrivait à peine à respirer. De temps à autre, le monstre lui glissait un morceau de galette. Il avait soif, mais il résista du mieux qu'il le put.

     Au terme d'un mois de voyage, Tériel l'ogresse, arriva enfin chez elle, dans un pays souterrain et obscur, où l'on n'entendait que les cris des hiboux, des chacals, des ogres et autres animaux de mauvais augure. Des cris effrayants qui retentissaient comme des tonnerres stridents.

medium_AIT-MOHAMED_contes-magiques_couv.jpgSalima AÏT-MOHAMED

Contes magiques de Haute Kabylie

Éditions Autres Temps

 

29/03/2007

Rayon de soleil ? (Noufel BOUZEBOUDJA)

Rayon de soleil ?
Une aube épanouie,
Brisant l’écume de la nuit.
Ta silhouette se dessine,
Prend forme évanescente ;
Le paysage est encore brumeux.
Je vois ton corps exalté exaltant,
Baigné de rosée, joyau.
Je te regarde…
La brume… la brume…
Un instant de naissance
Mais où est le soleil ?
Où est-il pour dissiper cette brume ?
Puis, je respire,
Je te respire ;
Le lilas, le lys, le jasmin,
C’est le printemps !
Une naissance florale,
Dans ce jardin épineux
Où le cactus et les toiles d’araignées
Se sont épousés.
Où les fantômes médisent,
Jalousent, maudissent ;
Le froid happe mes os.
Mais à ta vue…
Ai-je déjà vu ?
À ta vue, ta chaleur m’inonde
Dans des frissons intarissables.
La brume ! La brume !
Entourant ma vue, mon rêve.
J’ai voulu te sentir…
Je te sens
Et là, ce que je crois perdrix,
Se déniche de mon coeur usé.
Un premier sourire,
Dans ce jardin inclément.
Je fais un premier pas…
La brume… la brume…
J’entends les prémices d’un hymne :
Le rossignol précède.
Au loin, j’entends…
Le tambourin, la flûte et la mandoline,
Le bendir accompagne des voix :
Féminines, masculines ; confuses, joyeuses.
Est-ce notre fête ? Nos noces ?
J’avance vers toi,
Des pas moins sûrs.
Les roses aux pétales gémissant,
Diffusant leur parfum enivrant.
La vie se revêt de verdure,
De toutes couleurs
De beau…
La brume peu à peu se dissipe.
Mes pas de plus en plus sûrs.
Le soleil !
Le soleil, c’est toi.

 

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Noufel Bouzeboudja (Mourad)

« Pensées pensantes »

Édition : À compte d’auteur

 

22/03/2007

Mort d'un libraire (Saïd MEKBEL)

(Mesmar J'Ha)

Quand vous entriez dans sa librairie, il vous donnait l'impression de ne pas l'avoir remarqué. Il restait à sa tâche. Mais pendant que vous passiez devant les rayons à la recherche d'un livre, lui, vous suivait, guettait ce moment ou ce geste qui montrait que vous aviez besoin de lui. Alors seulement il venait, vous saluait, et engageait la conversation. Son prénom véritable était Joachim mais tout le monde l'appelait Vincent, cet homme qui tenait la librairie des Beaux-Arts"

Ceux qui l'ont assassiné hier après-midi, ont sans doute assassiné le dernier des libraires du pays, le dernier des marchands de livres qui savaient vraiment la richesse de ce que contenaient leurs rayons. Vincent assassiné!

Si cet homme avait pris son baluchon et quitté ce pays qui était le sien pour aller vivre dans l'Espagne de ses ancêtres il serait sûrement encore, encore en vie.

Eh non. Vincent ne l'a pas fait, il est resté ici, malgré l'insécurité, l'incertitude, les menaces, les risques. Malgré les amis qui l'exhortaient à partir. C'était des amis algériens qui croyaient que la vie n'était plus possible en Algérie. Vincent lui, y croyait.

Honte à nous!

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Saïd MEKBEL 

(Le Matin, 22 février1994)

16/03/2007

KAHINA (Rénia Aouadène)

Oh Kahina, ma reine

qui n'eut pour Dieu

que rêve, d'un combat

inégal, tu fus la plus guerrière.

 

Oh Kahina, Dehia

ton surnom si célèbre

que l'on en oublia

ton prénom légendaire.

 

Oh Kahina, sorcière

entourée de ta meute,

tu mordis l'ennemi

de tes crocs de femelle.

 

Oh Kahina, berbère,

pour ne pas sacrifier

tes enfants bien-aimés

tu te mis à genoux.

 

Oh Kahina, maîtresse

d'un pouvoir téméraire,

la horde barbaresque

jamais ne t'humilia.

 

Oh Kahina, limpide

Oh Kahina, la juive

Dans les mains du calife ,

Ta tête fut sublime.

 

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Rénia Aouadène

Amer...tumes  

10/03/2007

LA GROTTE ECLATEE (Yamina MECHAKRA)

4 Juin 1962  

 

Cinq heures du matin. Un soleil rouge et ruisselant se levait derrière les collines.

La caravane s'immobilisa au bord de la frontière. Je glissai de la fourgonnette. Debout, le soleil dans le dos, le vent dans les cheveux, la main sur mon cœur, je me dis tout bas mon pays et ma maison, ma grotte et ma peine.  

Quelque part dans le monde, une autre femme peut-être, debout sur une autre frontière priait pour la dernière fois.

Je laissai tomber mon bras puis je me déchaussai.  

De mes pieds couverts des cratères du napalm, mes pieds nus et carbonisés, je foulai avec douceur la terre brûlante de mon pays.

Je fis un pas. puis un autre, puis encore un autre. Les cailloux me déchiraient la peau. Les ronces m'égratignaient, j'eus soif, j'eus mal à la tête et m'évanouis.  

Quand je me réveillai, j'étais allongée au pied de la fourgonnette, le cadavre castré me passait un peu d'eau sur le visage. Il devait être midi. Je lui demandai de verser un peu d'eau fraîche sur le cercueil métallique. Kouider devait suffoquer.

Mon fils tendait l'oreille à la voix du poète, qui le tenait dans ses bras.  

Je laissai la caravane gorgée de milliers d’émigrés sur la route de Tébessa et partis avec le poète, le cadavre castré et Rima à la recherche d'un arbre nu et déchiré, mort debout, au pied duquel dormaient ma grotte et mes amis.

Je le vis au bout de ma route, les bras levés vers le ciel.  

Face à mon arbre, je cessai de respirer et le regardai avec mes yeux mêlés aux yeux de Kouider.

Je m'approchai de lui et glissai mes lèvres sur son écorce rugueuse.  

Il avait survécu à mes amis. Il était ce quelque chose qui avait poussé dans ma mémoire quand ma grotte mourut, il était l'unique quelque chose qui me parlait encore de mes amis J'y accrochai ma ceinture.

Le sol ne trahissait plus l'existence de ma grotte.

J'arrachai une motte de terre. Je l'emporterai avec moi à ARRIS. Je la déposerai dans une jarre et j'y planterai des marguerites.

 

medium_MECHAKRA-Yasmina_dessin-Martinez_pf.2.jpgYamina MECHAKRA 

La Grotte Éclatée.

Alger : SNED. 1979

Pages 173-174