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14/02/2008

Mots de gazelles, pour lever le voile des tabous (MYRIAMA)

Certains hommes ne veulent pas que leur femme se fasse trop belle pour sortir. Et pour rentrer ?

 

J'ai expliqué à ma tante que si l'habit ne fait pas le moine, la jupe courte ne fait pas la prostituée et la moustache ne fait pas l'homme.

 

Chez nous, les filles veulent se marier à tout prix, les mecs pour rien au monde, heureusement qu'il reste les mariages mixtes !

 

À force d'entendre ma mère me répéter que les filles ne sortent pas le soir, j'ai bien cru que j'allais devenir un garçon !

 

Un jour j'ai dit à mon père "il faut que je te parle de quelque chose" ; il m'a dit "ça y est, tu veux te marier ?". Ca a été ma première et dernière tentative de parler politique avec lui !

 

Assister à l'accouchement n'est pas une obligation pour l'homme : dans la mesure où il a assisté à la conception, c'est le principal !

 

Quand un garçon naît, son père sacrifie un mouton ; pour la fille c'est quand il est sûr qu'elle va quitter la maison pour se marier qu'il achète un mouton !

 

On peut aller chez un marabout parce qu'on a mal à la tête, mais pas chez un psy pour le mauvais oeil !

 

Etre bien dans sa peau, c'est ne pas avoir besoin de ressembler à quelqu'un d'autre pour plaire.

 

J'en ai marre de me faire appeler la gazelle à chaque fois que je vais en vacances au bled. Je suis une tigresse autant capable de me défendre qu'un lion alors que les gazelles se font croquer toutes crues !

 

Chez nous les tabous sont un moyen de faire taire les femmes qui ont tant de choses à dire tout en donnant l'occasion aux hommes de dire quelque chose de profond : "tais-toi !".

 

8d42a9dde7b8e0c4bc4ec41a2080dd86.jpgMots de gazelles, pour lever le voile des tabous

 

Auteur : Myriama

Dessins : Samiha Driss

 

Éditeur : Horay, Paris, France

Les Ailes de l'Islam bleu, CrisEcrits, 2005.

07/02/2008

Mouloud Feraoun et l'éthique du journalisme (Mehenni AKBAL)

... 

À ce stade de notre propos, un regard furtif dans le rétroviseur s'impose. D’abord il y eut l'enfance. Une enfance misérable, cruelle, rapetassée. Une misère quasiment générale. Ce fut, malgré tout et après tout une enfance regrettable. Regrettable car faite d'innocence, d'insouciance et de naïveté. À cinq ou six ans, il faut exécuter  les  injonctions maternelles, s'arrêter, devant le petit cimetière de la maison des Soeurs blanches, sur la route carrossable entre Taguemount-Azouz et Tizi-Hibel, pour regarder la tombe de Mouloud Feraoun. Une tombe qui m’avait toujours impressionné. Une tombe qui a poussé dans un décor traditionnel  et ancien. Tout laisse à penser qu’avant Feraoun il y eut des morts. Et après lui, il n'y en a eu aucun.  

6ème à dix ans, bac à 17 du temps où on le présentait à 19. Jamais je ne me suis vu par contre, décerné un quelconque prix. Tantôt  intéressé.  Tantôt  désintéressé. Engouement  pour  certains enseignants, désenchantement pour d'autres. Ennui devant certaines situations, amusement devant d'autres. Un élève moyen avec une scolarité superbement banale et sans histoires.

Cependant, j’avais à cette époque déjà fait mon choix. Entre un Hugo, un Baudelaire, un Musset, un Vallès, un Maupassant, un Bataille, un Tolstoï, un Gibran, un Al-Hakim, un Al Aqqad, un Choukri, un Al Ma'arri et une révision pour un examen, d'une échéance décisive, je nourrissais une grande prédilection pour un des cités au masculin négligeant, sans regret et sans remords, celle citée au féminin.  

Durant mon enfance, j'avais beaucoup lu. Je vivais dans les livres et dans les bandes dessinées. Je l'avais fait car j’avais de l'otium, j'en avais. Jamais, je n'avais imaginé un seul instant, à cette époque, que l'acte de lire pouvait me servir un  jour. Cela ne me procurait aucun bonheur. Aucun malheur. Ne provoquait en moi aucune  sérénité.  Ne  suscitait  aucune angoisse. Je le faisais uniquement  pour  m'occuper.  J'étais comme ces oisifs qui lisent (et) que Nietzsche haïssait.

Certains auteurs m'avaient beaucoup séduit. Hergé m'avait emmené et conduit ailleurs. Il m'avait fait découvrir un autre monde. Un monde différent du mien. Un monde que je méconnaissais. Il m'avait fait rêver. J'avais accompagné Tintin dans tous ses voyages. Lui et moi, nous partîmes au Tibet, au pays des Soviets, au Congo, en Amérique, au pays de l'or  noir. Nous découvrîmes  L 'étoile  mystérieuse,  Le trésor de Rackham le Rouge. Ensemble, nous avions marché sur la lune. Nous avions percé Le secret de la licorne. Nous prîmes le vol 714 pour Sydney,  

Cependant, si Hergé m'avait coupé et isolé des miens, Mouloud Feraoun m'avait fait découvrir ma condition et ma réalité. Il m'avait réduit à ma stricte nudité. La lecture de son Le Fils du pauvre m'avait permis de m'identifier, de me reconnaître, de me connaître.

Adulte, j'ai continué à aimer les livres et leurs silencieuses conférences. Souvent, je m'emploie à arranger ma bibliothèque. Une  bibliothèque  assez  riche.  Une bibliothèque que j'ai toujours enveloppée et continue d'envelopper d'un amour actif et constant. L'amour et le respect que je dois aux livres, m'ont été inculqués, depuis mon innocente et tendre enfance, par feu l'instit. Ma bibliothèque a bien changé d'aspects de nombreuses fois. Je ne sais d'ailleurs plus ce que sont devenus les livres et les bandes dessinées de mon enfance. Ceux que mes instits, mon frère et ma mère m'ont offerts. Je n'ai même plus souvenir de ce que sont devenus ceux de mon  adolescence.  J'aurais  aimé  voir figurer sur un de ses rayons L 'Ami fidèle, mon premier livre de lecture, dont les textes d'une grande valeur littéraire et d'une grande beauté artistique m'avaient fait rêver durant mon enfance. Je savais à cette époque déjà que la série L 'Ami fidèle, qui devait m'accompagner du CE1 au CM2, avait été conçue par un des miens : Mouloud Feraoun.

 

2be8f0fe0bbbe5a65ddeb47401aada71.jpgMehenni AKBAL

 

Mouloud Feraoun et l'éthique du journalisme

 

Introduction (extrait)

Editions El-Amel

 

2007

 

29/01/2008

Youyou dans les lauriers roses (Boukhalfa BITAM)

  À ce moment, le peloton des femmes porteuses d'eau arrive au bout de la côte et débouche sur la place. Elles défilent devant le caïd pour aller verser leurs cruches dans les grandes auges-réservoirs du chantier. Ammar les suit d'un oeil où brille une lubricité méchante...  

Mais il s'aperçoit que l'une d'elles s'est détachée du groupe et continue droit son chemin, seule, allant chez elle. Il se lève, enfile rapidement ses babouches et l'interpelle, après avoir mis sa main en visière au-dessus de ses yeux pour la reconnaître : « Eh toi, où vas-tu comme cela ? Veux-tu venir par ici ! ». Yamina - c'est elle - imperturbable et fière, va son chemin sans se retourner, comme si rien n'était. « Tu m'entends ? Ou tu veux que je vienne te déboucher les oreilles ? » crie Am­mar. Sans résultat. Le caïd alors, fulminant et jurant se met à courir derrière l'effrontée. Les autres femmes se sont arrêtées au seuil du chantier ; les gosses qui se trouvaient là ont suspendu leurs jeux: des hommes, ayant entendu, depuis le chantier, les éclats de voix, se sont avancés pour voir ce qui se passe. Yamina presse le pas. Elle ne s'est pas retournée une seule fois. Mais sa cruche est lourde et il est malaisé de courir avec. Elle est résolue d'ailleurs à ne pas fuir. Mais elle craint que Ammar la rejoigne. Elle lâche alors le récipient de terre qui vole en morceaux. L'eau en a giclé et éclaboussé le caïd dont la gandoura immaculée se trouve tout d'un coup étoilée de plaques brunes de boue. Il s'est arrêté, blême, minable, et, avant que Yamina eût disparu au coude de la ruelle, il pince son menton entre le pouce et l'index, et lui jette d'une voix rauque qui tremble de colère  « Je tondrai ma barbe pour toi, fille de marchand d'outres ». À cette-parole, Yamina a entendu s'esclaffer les gamins et ricaner hideusement quelques mégères postées derrière leurs portes entrebâillées.

Ouchabane, qui vient de s'apercevoir de l'esclandre, crie et gigote comme un pantin déchaîné et s'emploie à faire reprendre à chacun sa corvée.  

Le caïd est rentré chez lui. Pour se changer ou quoi ? Après cet affront, dans quel état va-t-il reparaître ? Et que va-t-il advenir de celle qui, en public, lui a fait subir une telle avanie ? Celle-là ! il faut vraiment qu'elle ait du coeur au ventre pour agir ainsi, toute seule, contre ce vautour.

Les commentaires, à travers le village, vont déjà leur train. Ils sont mêlés, pour Yamina, d’une admiration apitoyée ; pour Ammar de rancœur et de crainte...

 

oOOOo

 

Que se passe-t-il donc à Aaourir ? qui est Ammar, le caïd ? Et pourquoi fait-il montre de tant de dureté à l'égard de la population ? Il faut dire d'abord, que sa méchanceté tient, pour une large part, à son tempérament avide et cruel. Mais elle se trouve attisée par les mauvaises relations et les antagonismes souvent sanglants qui ont opposé, des années durant, les gens des Beni­ Ouaras - sa propre tribu - à ceux d'Aourir qu'il gouverne aujourd'hui.  

À quarante ans, Ammar ne vivait que de rapine et les subsides que lui procuraient les méfaits divers qu'il commettait à gages. Il suivait ainsi l'exemple de son père et de son oncle Slimane, brigands bien connus dans la région.

À l'époque où se passent les faits, la justice et la police n'avaient pour tâche, dans les campagnes surtout, que de défendre et faire respecter la présence coloniale, à travers le colon et le percepteur. Pour le reste, les gens s’arrangeaient comme ils pouvaient...  ou s'entredévoraient. De sorte que les durs faisaient la loi. Et lorsqu'une famille bien pourvue en hommes, comme celle du caïd, régnait quelque part, l'administration ne trouvait rien de mieux que de consacrer sa puissance en recrutant parmi elle ses hommes : caïds, gardes-champêtres et autres agents du « maintien de l'ordre ».  

C'est ainsi que Ammar fut appelé un beau matin par Auguste Carré, l'Administrateur de la Commune Mix­te de Mallebranche, qui lui apprit son intention de le proposer pour une charge de caïd.

b441d821fbd38dbf5783adbe706cccb6.jpgBoukhalfa BITAM

 

Youyou dans les lauriers roses

 

 

Éditions ANEP 2004

 

(Réédition du livre Les Justes)

21/01/2008

Le jeune homme et le groupe de sages (Kamal SABI)

Il était une fois, un jeune homme, orphelin, ayant perdu parents, frères et soeurs. Tout petit, il fut élevé par une veille femme, aussi pauvre que démunie. Le temps passe. Ils demeurèrent ensemble jusqu'au jour où celle-ci rejoint la dernière demeure qui nous est tous destinée (elle mourut).  

Le jeune homme est livré à lui-même, errant d'un village à un autre, ne sachant où aller, ni même où porter ses pas. Il avance vers l'inconnu, seul, sans aucune compagnie. Il marche de jour comme de nuit, bravant tantôt le froid glacial, tantôt la chaleur ardente. Il atterrit un jour dans un village où il rencontre un groupe de sages. Ayant pitié de lui, ces gens l'accueillent comme on accueille son propre fils. Ils lui confièrent un troupeau de moutons et de chèvres.

Les jours, les mois et les années passèrent et le jeune homme commence à prendre conscience de son existence. Il médite et refait ses comptes.

Il revoit son passé, ses origines et tout son parcours semé d’embûches. Il se dit  « Où suis-je, où serai-je demain et quelle sera ma destination future ? »

Mais  un  fait  l'étonne  et  le  préoccupe profondément. Le groupe de sages qu'il vient même de rencontrer.

Il  se dit :

Comment ai-je atterri dans ce village ?

Pour quoi ce peuple m'a-t-il adopté sans gage ?

Bien qu'on ne se connaît guère de visage ?

Pourquoi tant de bonté que leur coeur dégage ?

Pourquoi sont-ils si sincères dans le verbiage ?

Pourquoi sont-ils estimés par tout l'entourage ?

Pourquoi sont-ils unis dans le voisinage ?  

Je voulus être leur semblable, être l'un des leurs. Je voulus être parmi eux. Demain, si Dieu veut, j'irai les voir, leur demander et les prier de m'accepter dans leur sillage.

Le jeune homme médite. Il pense jour et nuit.

Comment pourrait-il percer un jour leur secret ? Comment pourrait-il leur demander d'être un des leurs ?

Un jour, il décida de se débarrasser de l'hésitation qui le paralyse, il se dirigea sans contours vers eux, bien que redoutant leur affrontement et leur éventuelle réplique. Il avance à reculons tel celui qu'on conduit vers la guillotine. Prenant son courage à deux mains, il poursuit son chemin et il arrive jusqu'à eux. D'une voix hésitante, il leur dit :

- Que le salut soit avec vous, ô gens qui ont réjoui mon coeur et mon esprit

Le groupe de sages, d'une même voix répond :

- Que le salut soit avec toi, ô le meilleur astre des astres Quel est l'objet de ta visite ? Nous espérons qu'elle sera de bonne augure.

Le jeune homme réplique et leur dit :  

Peuple étranger. je vous prie de m'excuser,

Mes propos émanent du fond du coeur !

En votre compagnie, je veux demeurer,

M'associer à vous est mon souhait majeur,

Je finirai ma vie à vos côtés,

Jusqu'au jour où je rejoindrai le Seigneur !  

Le groupe de sages est stupéfié par ce qu'il vient d'entendre car il ne s'attendait pas à de tels propos de la part du jeune homme.

Celui-ci lui rétorque :

- Va maintenant. Nous n'avons rien à te dire. Laisse-­nous réfléchir et demain tu auras la réponse à ta quête.

Le jeune homme, à son tour, frappé de stupeur attend désespérément la levée du jour pour enfin connaître le verdict.  

À l'aube, le chant du coq retentit,

Le jeune homme sursaute de son sommeil.

Impatient, il attend et se dit :

Est-ce la vie ou l'enfer sans pareil ?

Interrogatif, ayant l'air ébahi,

L'espoir s'en va, la détresse se réveille.  

 

Le groupe de sages lui répond :

Ton chemin est semé de virages,

Tu dois revoir ton langage.

Et refais tes comptes sur du vrai.

Tes semblables ont patiné au passage,

Le prenant pour une page.

Où les écritures s'alignaient.

On redoute le moissonnage

Après tout l'ouvrage.

Que le blé ne devienne de l'ivraie.  

Tels sont les propos du groupe de sages à l’égard du jeune homme.

 

04dc31382db2c6b43ea01160dbccf832.jpgKamal SABI

 

Vision intime

 

Édité à compte d’auteur en 2006

 

Illustré par Hocine HETTAL

 

 

 

 

 

 

Version kabyle dans l'album STOCK ci-contre :

14/01/2008

LE COUSCOUS DE MA MERE (GUEDDOU)

 

 

« Mon père s'appelle Guéddou, J'aime la Bretagne, Ma mère s'appelle Aït-Mohoub, J'aime la Kabylie, je n'ai pas choisi le jour de ma naissance, je n'ai pas plus choisi mon nom ou ma foi, je ne peux prédire le jour de ma mort. Mais je sais qu'arrivé nu, je repartirai nu, Et que si je fais du bien, je resterai toujours vivant. »

 

 

 Guéddou, né en Kabylie juste avant le déclenchement de la Guerre d'Algérie, a vécu les premiers temps de cette indépendance puis, au moment où l'enseignement a été arabisé dans son pays, a choisi, pour assurer l'avenir de ses enfants, de vivre en France. Ce récit raconte son histoire, et comment, suite à une sorte de miracle, il a eu l'idée du fameux couscous offert, qu'il continue et qui en a inspiré d'autres. Des monts de Kabylie à Paris, nous passons d'un monde ancien, encore préservé, à sa façon, malgré les horreurs de la guerre, à la modernité. On y côtoie des chacals, des bergers, des lâches, des héros, des travailleurs, des débrouillards, bref, tout ce qui fait la diversité d'une vie où tout ce qui peut durer s'obtient à la force du poignet et à la sueur de son front. Entre anecdotes parfois drôles, parfois tragiques, et réflexion, c'est aussi un témoignage sur la vie et l'intégration. On verra qu'elles ne sont pas toujours simples, mais que le refus de la fatalité reste le meilleur moyen d'aplanir le chemin.

 

 

098284711e8c8ebc178877cc05653adc.jpgGUEDDOU

 

LE COUSCOUS DE MA MERE

 

Mémoires

 

 

 

Éditions L’Harmattan