07/08/2007
Plantes médicinales de Kabylie (Mohand AÏT YOUSSEF)
" Djehnama* ", certains disent que c'est l'enfer d'où viennent les " dj'noun' ", (les esprits - il y en a qui viennent partager l'existence et parfois le lit de certains vivants).
Certains ermites, dit-on, vivaient avec une "djenia". Les gens qui croient cela croient aussi qu'un "djinn' " peut prendre possession d'un être humain qui ne s'appartient plus lui-même... il appartient alors au monde des "dj'noun' "...
"Cet enfer, c'est aussi une graine, qui vient d'une petite plante aux fleurs rouges foncées ou noires... La personne à qui on la donne, c'est une femme stérile, on lui en fait boire un infusé... et après c'est terrible ! on l'enferme seule dans une pièce, et elle doit rester enfermée à peu près vingt-quatre heures... et on entend à la porte que la femme parle toute seule, qu'elle s'agite, délire... elle casse des objets, elle peut tout briser dans la maison...
Puis ça se calme tout seul. À un moment donné, on n'entend plus rien.
En général, au bout des vingt-quatre heures, on retrouve la femme sans connaissance... En général, elle est vivante... Si le remède a été donné selon les bonnes règles, les bonnes doses, il ne l'a pas tuée...
Quand elle se réveille, elle ne se souvient de rien de ce qui s'est passé dans la maison même si elle a tout dévasté... Un peu après cela, il y a eu un cas où une femme est devenue "tafsat" - enceinte - ... et on dit que d'autres ont donné naissance à de beaux enfants, même assez nombreux... "
Ce témoignage a été recueilli en 1983 auprès d'une Accoucheuse de la Maternité rurale de TIMEZRIT, en Grande Kabylie (Algérie)

* Cette plante, "djehnama", a été bien identifiée : il s'agit de Datura Stramonium L. ("datura stramoine")
Mohand AÏT YOUSSEF
Éditions IBIS PRESS
2006
20:27 | Lien permanent | Commentaires (10) | Facebook
01/08/2007
L’oued de ma mémoire (Marc TESTUD)
Aujourd'hui le village* (de Novi) porte un nom à la couleur plus locale Sidi Ghiles.
M'hamed, un ami d'enfance, m'a rapporté deux versions de l'historique de cette appellation racontées par des anciens du village.
La première parle d'un homme inconnu établi au bord de l'oued. Dans le Coran, il est souvent question d'allégories, de métamorphoses d'êtres humains en animaux. D'après la légende, ce personnage mystérieux avait un pouvoir surnaturel qui lui permettait de prendre l'apparence d'un tigre. Il fut appelé Ghiles qui en est la traduction en kabyle. Le lieu fut appelé Sidi Ghiles, Monsieur le Tigre.
La seconde évoque trois pieux personnages intemporels arrivés de Kabylie, Sidi Abdellah Nedjari, Lala Mesguida et Sidi Ghiles. En raison de leur vie ascétique et charitable ils furent à leur mort élevés au rang de marabouts et enterrés sur les lieux.
J'ai toujours connu le mausolée à coupole blanche abritant le tombeau sur la route de la briqueterie au bord de l'oued.
Novicien de Sidi Ghiles, je revendique cette appellation qui me semble le mieux évoquer la dualité de mes racines et mon identité.
À sept kilomètres de Cherchell, Sidi Ghiles s'étale sur une langue côtière descendant en pente douce vers la mer, mamelonnée au sud de collines étagées, coiffées de calottes de pins et de lentisques.
Vu du réservoir qui domine le village, j'ai en mémoire une tache blanche et rouge posée au bord de l'eau azurée, les points d'exclamation du plumeau des palmiers tournés vers le ciel. J'ai encore dans les yeux le damier vert sombre, bleuté de sulfate, des parcelles de vigne, le triangle svelte du clocher-arcades à travers lequel un oeil exercé pouvait distinguer un coin de Méditerranée.
De Cherchell on arrivait au village par la nationale, longue ligne droite bordée de grands platanes qui devenait la rue principale soulignée par la géométrie vernissée des ficus aux troncs soigneusement blanchis.
En toile de fond, juste dans l’axe, s'aligne, éternelle sentinelle de granit, la masse rassurante du Kourb.
L’agglomération était un quadrilatère tracé au cordeau comme un camp militaire. Les rues ne portaient pas de plaques. On leur avait attribué naturellement des noms à la notoriété toute locale puisque c'étaient ceux des riverains.
Couvertes de tuiles romaines et toutes de plain-pied les maisons se ressemblaient et étaient mitoyennes. La même rue changeait de nom plusieurs fois. La rue de Daniel Roseau devenait celle de Mouloud Aïssani ou de Tintin; celle de Beuchotte, la rue de Nahouche.
Le village était ceinturé sur trois côtés par une triple rangée d'eucalyptus géants, voûte sans fin aux colonnades blanches, parfumée et cendrée, bruissante de moineaux.
Au « centre-ville », l'obélisque de granit gris du monument aux morts regardait la mer. Autour, les ficus taillés en brosse cernaient la place et son kiosque à musique encadrés de l'église, des écoles et de la mairie.
Juste derrière, entre le presbytère et le cinéma paroissial, un large terrain vague bordé de trottoirs que les enfants avaient baptisé terrain de foot, quatre acacias à la position approximative servant de buts.
Les odeurs rythmaient le déroulement de la journée. Ça sentait le pain chaud, le crottin de cheval, le feu de bois, la semoule, le jasmin, l'anisette, la fleur d'oranger. L’après-midi apportait les relents de marc et de vinasse, les effluves iodés de varech et l'odeur mêlée d'eucalyptus et de sulfate de cuivre.
Au-dessus du village, le long d'un canal étroit qui traversait chacun d'eux, les jardins s'alignaient sagement dans leur huis clos de roseaux.
Seul l'un d'entre eux, à la haie éventrée, s'ouvrait largement par le devant. Un olivier, un grenadier et quelques orangers cernés par les ronces, les herbes folles, les chardons et les concombres sauvages indiquaient à l'évidence que la nature y avait repris ses droits. C'était l'espace de liberté et d'aventures des enfants qui l'appelaient le jardin abandonné.
Et puis, plus bas, au pied du long bâtiment blanc de la cave coopérative, entre le rocher de la Triche et l'embouchure de l'oued, une plage étroite semée de galets et de petits graviers, parfois bosselée de mattes d'algues aux rubans verts et bruns.
* Ce village proche de Cherchell n'est pas en Kabylie, mais son nom est d'origine berbère.
L’oued de ma mémoire
Marc TESTUD
Pages 74-76
Éditions Siloë 2006
08:55 | Lien permanent | Commentaires (24) | Facebook
23/07/2007
Je m’en vais partir (Ben Mohamed)
Je m’en vais changer de pays
À la recherche de lumière
Je m’en vais fuir la mort
En quête de temps nouveaux
J’irai plus loin que les nues
Où les femmes ont droit de rire
Je m’en vais vous laisser mon pays
Où désormais aimer est péché
Je m’en vais laisser le printemps
Où les fleurs sont atrophiées
Je m’en vais laisser le coutelas
Qui dans l’obscurité nous égorge
Je m’en vais vous laisser le pays
Qu’agite un vent de folie
Je m’en vais vous laisser l’oubli
Qui assoupit l’opinion
Je m’en vais laisser le domino
Le domino que dissimule le joueur
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui exile ses propres enfants
Je m’en vais vous laisser la plaine
Qui dans mon coeur attise le feu
Je m’en vais vous laisser l’outre
Qui en nous amplifie les bruits
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui écarte les savants
Je m’en vais vous laisser la vermine
Voici que lui poussent des cornes
Je m’en vais laisser la porte
Qui se claque au nez des gens
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui ne moissonne ni ne trie le grain
Je m’en vais vous laisser le plat
Qui ne trouve pas de farine dans sa jarre
Je m’en vais vous laisser le vieux burnous
Sur l’épaule du pauvre hère
Je m’en vais vous laisser le pays
Le pays qui élève des crabes
Je m’en vais vous laisser le tourbillon
Qui rassemble les rancuniers
Je m’en vais vous laisser cette boule
Coincée derrière les gencives
Je m’en vais vous laisser le pays
Hanté par les moribonds
Je m’en vais vous laisser la galette
Dont ils se disputent l’héritage
Je m’en vais vous laisser la cruche
Qui lave les matières des panses
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui du plat a fait une côte raide
Je m’en vais vous laisser le pays
Où les bouches sont décousues
Je vous ai laissé le pays
Où les frères sont des ennemis.
de Ben Mohamed (Hammadouche) (en 1944 ?)

Quelques-uns de ses poèmes ont paru notamment :
- en 1992 dans la revue de l'Université Paris 13 "ITINÉRAIRES et contacts des cultures" n°15/16, Ed. L'Harmattan, Paris (Numéro spécial "Littérature et oralité au Maghreb" contenant 8 textes de Ben).
- en 1993 dans l'"Anthologie de la poésie Kabyle" de Youcef Nacib, Ed. Andalouses, Alger."
Hamid Tibouchi
10:45 | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook
17/07/2007
Identité par le Groupe DJURDJURA
Identité Version Live (Groupe Djurdjura)
Texte récité en langue française
(Laissez-moi vous raconter
Dans le froid du mois de Janvier
Quand elle a pris le bateau.
Un bateau, c'est toujours beau
Les souvenirs s'en vont au fil de l'eau.
À Marseille, débarquement
Elle a changé de vêtements,
Changé de langue, changé de lit.
« Bonjour la vie »
« Papiers, s’il vous plait, passeport,
Nationalité, carte d'identité »
IDENTITÉ
Silence
Les jours se sont enfuis
Fleuris par les sourires
Les arbres et les fruits.
C'est comme ça quand on est petit.
Et puis le printemps est parti
Et les illusions aussi !
IDENTITÉ
Silence
Une lumière, des larmes
Un cri de liberté, des années d'amertume
La guerre d'Algérie
IDENTITÉ
Elle avait les dents si blanches
Un sourire si frais
Qu'on aurait dit
Un poème sur la Paix
Mais la paix, elle connaît pas
Car sa vie est un combat.
IDENTITÉ
Profession du Père : Ouvrier
Fatigué, il parlait à sa manière
Un peu tendre, un peu aigri
Puis un jour, il est parti.
IDENTITÉ
La Mère : profession ? néant.
Elle s'occupait des enfants
Les aimait à sa manière
Un peu raison, un peu passion
Puis un jour, il a fallu couper le cordon.
IDENTITÉ
Elle avait l'air d'une Princesse
Pourtant, elle pleurait sans cesse
Le soir, après ses ménages
Elle rêvait de grands voyages.
IDENTITÉ
Elle était gaie en arrivant
C'est vrai elle avait dix ans.
Aujourd'hui, elle grandit
Pour être libre et fière.
Elle parle toujours le berbère
Elle lance des S.O.S.
Racisme, Justice, Détresse
Amour et Paix sur tous les continents.
S.O.S. répond absent.
Il n'y a pas d'abonné
Au numéro que vous avez demandé.
Il n'y a pas d'abonné
Au numéro que vous avez demandé.
Djouhra ABOUDA
17:25 | Lien permanent | Commentaires (11) | Facebook
09/07/2007
HOMMAGE A FADHMA AITH MANSOUR A BAILLE
Ce Dimanche 8 juillet 2007, à la veille du 40ème anniversaire de sa mort en Bretagne et à l'initiative de la Coordination des Berbères de France.
Tout d'abord, des photos :






... et mon compte-rendu :
Baillé, petite commune (moins de 400 habitants) a connu ce dimanche une affluence exceptionnelle.
Les passagers des quatre bus affrétés par la Coordination des Berbères de France ont suivi les musiciens et se sont regroupés autour de la tombe de Faddhma Aïth Mansour AMROUCHE.
Après un rappel de sa vie, par le M. le Maire et quelques hommages, la CBF a déposé une gerbe et, quelques admirateurs, des fleurs naturelles.
C'est alors que le groupe "Racines" a entonné un chant de Taos à faire sourdre les larmes... puis une musique d'invitation au pique-nique.
Dans l'après-midi, l'assistance était très nombreuse pour écouter ce que les un(e)s et les autres ont découvert d'essentiel dans la première autobiographie d'une Algérienne : "Histoire de ma vie" (livre écrit à la demande de ses enfants en 1946, complété en 1962 mais publié seulement en 1968).
Ce que j'en retiens, c'est le courage que cette femme a eu pour affronter la dureté de la vie, (rejet, exil, deuils...) Et aussi pour transmettre à ses enfants les dictons et proverbes, les poèmes et chants traditionnels. Et c'est bien grâce à elle que Taos a écrit "Le grain magique".
Moi j'ai découvert la culture berbère grâce à Mouloud FERAOUN, Taos AMROUCHE, puis Idir avec sa chanson "A Vava Inouva" ....
C'était pendant la coopération (71-73), et j'ai souvenir des pierres plates "du ruisseau où les femmes allaient laver leur linge, près du hameau de Tagragra", l'endroit-même où la mère de Fadhma Aïth Mansour allait tous les mercredis.(fin du 19ème siècle)
C'est bien grâce aux Kabyles que j'ai réalisé que je suis Breton.
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